Il est toujours difficile de dire ce qui appartient au sacré et ce qui relève des hommes. Les deux empruntent le même chemin. On marche et au bout, il peut s’agir de la plantation ou d’un carré de terre ancienne. La peinture de Baye Ndiaga Diouf fonctionne de cette façon. Elle pose son pied sur les deux traces. Une partie parle des hommes, et il y aura beaucoup à raconter. L’autre s’attache à la grande lumière et l’ombre protectrice. Elle dit l’importance du sacrifice et la justice que l’on doit poursuivre, parce qu’elle est une nourriture de l’âme. Les deux vont ensemble sur la toile, qui est un tableau plein de réalisme, à poser sur un mur de terre, dans le cœur aussi qui est de la même matière.

À ceux qui lui demandent d’où lui viennent ces histoires, le peintre parle de son village, Nakhamaye, qui est de culture sérère, de sa maman adoptive qui connaissait les rituels… et d’un grand baobab, au cœur du village. « J’avais neuf ou dix ans, et je dessinais sur tout ce que je trouvais. La pierre, le bois, les murs des maisons… Un jour, je me suis assis sous l’arbre et j’ai gravé dans l’écorce des personnages. Le lendemain, mon cou me faisait très mal. Vraiment, je ne pouvais plus bouger la tête. C’est la maman qui m’a dit ce que je devais faire. » L’enfant est retourné à l’Arbre, il lui a demandé pardon, et peut-être que le vénérable lui a dit dans l’oreille que plus tard…
L’histoire de Baye Ndiaga Diouf est une magie obstinée. Depuis ce jour, il a voulu être peintre. Parce que c’est un métier magique, et vous pouvez l’entendre comme vous le souhaitez. La peinture fonctionne donc de cette façon. L’enfant devient un adulte et il continue de suivre cette trace et de poser les pieds aux endroits convenables.


Dans beaucoup de tableaux, et sa dernière série notamment (2021 et 2022) Baye Ndiaga peint la douleur que l’homme ressent et celle de l’animal aussi qui l’accompagne dans sa quête. Les critiques auront du mal à l’écrire, parce que la toile tout entière participe du sacrifice. « C’est un rituel nécessaire, dit-il, et l’on ne sait trop s’il s’agit du sacrifice ou de sa figuration. Le couteau et le sang sont permanents, et la gorge ouverte qui fait couler la couleur. Les deux mots ont une identique origine.
En tout cas, il refuse ce que la mort a d’obscur et cette soif du pouvoir qui est celle des puissants. Plusieurs fois, Baye Ndiaga Diouf parle de la justice, et de cette quête obligée, sans laquelle la vie n’a pas de sens. Les tableaux ont mis l’égalité au cœur de la composition. La justice est la parole respectable des esprits. Elle est le lien de cohérence qui nous unit à la terre et à ceux qui nous entourent.
Il prie pour cette vie qui dessine la chose ancienne, intelligible et nécessaire, que le monde moderne voudrait oublier.
Dans cette obstination de la peinture, malgré l’opposition paternelle, le jeune peintre a grandi. Il lui arrive aussi de le dire avec fierté, parce que c’est un métier rempli de noblesse. Quand il revient au village, son père aujourd’hui le bénit. Il prie pour cet enfant qui se privait de nourriture afin de payer ses cours à l’école des arts. Il se souvient de ce gosse qui dormait dans la rue, ses pots de peintures dans le sac, serrés contre lui. Il prie pour cette vie qui dessine la chose ancienne, intelligible et nécessaire, que le monde moderne voudrait oublier.

Un jour peut-être, Baye Ndiaga Diouf voudra peindre l’inutile et le factice, la grimace, le mensonge, la soif que rien n’apaise. Et de pointer plus encore l’immense manipulation. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. La nuit est profonde et la rivière coule dans le bon sens.
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: Baye Ndiaga Diouf
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Baye Ndiaga Diouf est né en 1991 à Dakar. Il fait ses études primaires à Nakhamaye et Kaolack. Après avoir abandonné le lycée, il s’inscrit aux cours du soir de l’École nationale des beaux-arts de Dakar, payant ses études grâce à son travail de menuisier.
Aujourd’hui, il réside et travaille à Dakar.
Expositions:
2021: Singulart, Paris (France).
Black perle collection, Londres (GB)
2020: Salon GEEW BI, Institut Français de Dakar (Sénégal)
Li Nu Bokk, Institut français de Saint Louis (Sénégal).
2019: Fesmir, Musée Théodore Monod, IFAN, Dakar.
10ème Salon des Arts Visuels du Sénégal, Dakar.
2eme Salon d’Art Contemporain de Segou’Art, Segou (Mali).
2018: Biennale de Dakar, OFF , Dakar.
2017: Parcourts, Dakar Ville anarchitectural, Dakar.
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