Dans la langue mossi, il y a un mot qui dit le réconfort par le bien et par le beau. « Maaneere » produit un son réparateur et apaisant, vocable constructif et satisfaisant. C’est sous ce nom que Christophe Sawadogo a fondé son atelier à Ouagadougou, en 2014. « Maaneere » est plus qu’un studio, au sens où on l’entend d’ordinaire. Il n’est pas l’exclusive d’un seul artiste, la matrice de sa création, son miroir complice. C’est même tout le contraire. Il s’affirme dans le collectif, la collaboration quotidienne, l’éducation, et aux moments de joie, dans la concrétisation de l’exposition. Pourrait-on dire un espace de briques et de ciment, à partir duquel des murs porteurs gagnent en volume.
Ouagadougou a le talent de mettre la création au rendez-vous, mais elle peine par contre à soutenir. L’initiative est essentielle. Elle n’est pas une aumône, elle n’engraisse aucun marchand. Elle ne cherche aucune autre lumière que celle de l’artiste qu’elle accompagne. Et dans ce cas, le mot a un sens. Ensemble, de faire un bout de chemin dans une direction. Et de construire pas à pas, ce que l’art pourrait être. Interview.
Roger Calme (ZO mag’)
Photos: C. Sawadogo
En 2014, au moment de créer les ateliers, une image vous reste en mémoire ?
Pour que le lieu existe, il faut déjà dire que sa construction m’a pris deux ans, et qu’elle n’aurait été possible sans le soutien des riverains. Tout est sorti de là, de notre poche. Un voisin nous a même donné des briques et du matériel comme les brouettes. Des artistes comme Segson, Vivien Nomwende Sawadogo, Xavier Sayago nous ont prêté main forte lors des travaux. Des jeunes du quartier ont contribué à la construction. Ça, c’est un élément concret.
En même temps, vous aviez besoin d’un lieu…
Un endroit où je pourrais travailler et exposer. Parce qu’il y avait très peu de lieux capables d’accueillir les artistes, de façon permanente. Ce qui est fréquent, ce sont les galeries et autres centres culturels, tenus par des expatriés. Seulement, quand ils sont en fin de mission, leurs espaces ont du mal à tenir debout et ferment au bout du compte. Ce qui laisse les artistes « sans abri », à la rue. Donc c’était cette double nécessité, personnelle et collective. L’ouverture officielle s’est faite deux ans après, en 2014. L’exposition inaugurale s’appelait « Regarder-garder ». On avait choisi d’associer un jeune photographe burkinabè, Vivien Nomwende Sawadogo, et une photographe suédoise, Eva Sayfors, qui avait parcouru le Burkina Faso dans les années 60.
Au-delà du choix des artistes, vous avez depuis le début une position très différente des autres galeries.
Si j’ai pu ouvrir ce lieu, ce sont les collectionneurs locaux (rares, mais importants) et européens qui par l’acquisition de mes œuvres m’ont permis d’exister. J’ai voulu depuis le départ agir dans le même sens. Les artistes qui exposent n’auront rien à payer et la vente de leur travail leur reviendra entièrement. C’est difficile, mais c’est un choix. J’assure donc le fonctionnement sur mes propres ventes. Paradoxalement, cette option reste assez mal vue, de certains artistes et de certaines galeries aussi.
Pour se faire une idée de l’espace?
Déjà de dire qu’il se situe à Tanghin, dans l’arrondissement de Nongremassom. C’est un quartier populaire, à deux kilomètres du barrage. Les ateliers se trouvent au milieu de cinq écoles supérieures, trois collèges et de deux écoles primaires. Une part importante de la fréquentation est celle des lycéens, collégiens et étudiants. Un public jeune, des amis, des voisins et quelques expatriés aussi. Sinon, on s’organise entre la galerie elle-même, sur une centaine de mètres-carrés et les ateliers d’artistes sur 120 m². Le reste est ouvert sur la cour. Depuis l’ouverture, nous avons réussi pu monter une vingtaine d’expositions qui attirent les artistes locaux, du Mali, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, et puis du Danemark, de France… Mais ce sont également des stages qui vont permettre aux étudiants de se poser dans leur pratique.
Comment tu vois le rôle de la galerie ? Ou plus largement d’un centre d’art…
Je voudrais revenir à ce que nous avons fait ces dernières années. Le travail que nous avons réalisé avec des communautés rurales, à Guibaré (nord du Burkina), à Keketjia, à Takoradi, à Tarkwa, au nord du Ghana, me ramène à un constat : quand l’art se construit avec les gens, ils en comprennent la portée sur leur vie et celle des personnes avec qui ils vivent. Nous avons essayé avec Nii Obodai, un photographe ghanéen de travailler avec des musées africains, des espaces qui peuvent abriter pour le futur des témoignages de notre temps. Il reste encore des objets d’art, des lieux emblématiques dans les villages, où l’expression artistique peut redevenir essentielle. En marge des créations individuelles et collectives de Ouaga, les Ateliers Maaneere peuvent montrer des œuvres réalisées dans des zones où les institutions officielles sont absentes.
Soutenir les jeunes artistes a été une priorité depuis 2014. Aujourd’hui, comment prolonger ce soutien ?
Aujourd’hui, la plupart espèrent venir en Europe. Qu’il s’agisse de s’y établir ou de faire des résidences. Ce que je veux dire, c’est que les moyens n’existent plus. Et qu’il faut penser différemment l’idée. Pourquoi ne pas aller dans ces endroits, hors les capitales, où l’art est vécu et transmis de génération en génération? Il y a certainement des choses à réfléchir, comme de revenir aux essences nourricières.
Contact: (20+) Wekré-Eclosion | Facebook
(20+) Christophe Sawadogo | Facebook
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