Il y a quelques heures, Sadikou Oukpedjo met en ligne ce portrait d’homme. Aucune autre indication que le médium utilisé. Un type lui demande des précisions et le peintre togolais lui répond « il faut se connecter à ça. Et ça te dira vers où ça te mène. » C’est un peu brutal bien sûr, mais bon, ça dit ce que ça veut dire.
Sadikou n’est pas une personne abrupte, tout juste, peint-il la crudité des choses. Depuis des années, il explore les rapports de l’humain à la vie. C’est infiniment moins souriant que des filles en bikini sur le rebord des piscines. En 2014 déjà, il est allé voir Cécile Fakhoury (Dakar) avec des toiles tirées de ce constat. Les visages ont cette obstination, les gestes exécutent, la posture est souvent celle d’une chute qui s’amorce.

Des hommes qui poursuivent un combat, des hommes d’un bloc, les mains épaisses, le corps tendu, qui cherchent à rester debout.
Et puis il y a ce portrait qui inaugure, dit-il une nouvelle série. « Connecte-toi, dit-il, et le tableau te dira ce qu’il a à te dire. »
Dans les années 60 et 70, dans la Russie soviétique, quelques voix continuent à refuser. Ils sont peu nombreux, la police les traque et les enferme. Dans les cuisines, penchés sur les tables, ils disent, ce que la liberté pourrait être. On les appelle des « refuzniks », et c’est cette impression immédiate qui (m’) est revenue devant ce tableau. Bien sûr, la couleur diffère. On n’est pas à Moscou ou dans la forêt du stalag. La clarté est immense, mais le visage traduit cette même volonté, d’aller au bout. Ce refus de la compromission et du faux-semblant.
Les représentations des refuzniks figurent habituellement ces hommes, le crâne rasé, des types que les matons accompagnent dans la forêt, abattre des arbres, remblayer une route gelée, creuser une tranchée ou jeter des corps. Des types qui en ont pris pour vingt ans, qui crèveront dans une ornière et que les oiseaux sombres vont manger. Ce sont les mêmes ingrédients que dans ses tableaux. L’inhumanité qui est la nôtre, le festin nu et des hommes qui poursuivent un combat, des hommes d’un bloc, les mains épaisses, le corps tendu, qui cherchent à rester debout.
Roger Calmé (ZO mag’)
Photo: DR et ©Sadikou Oukpedjo
Infos: cecilefakhoury.com/artistes/sadikou-oukpedjo