On pourrait commencer par une image, ou plutôt l’espace qui contient l’image. C’est un grand tableau noir, comme il y a en a dans une classe d’école. Sur cette surface vierge de toute inscription, l’enseignant écrit. Par exemple une formule mathématique ou une question de vocabulaire. Il parle, il écrit, et puis il efface, et puis il recommence à écrire, très vite, emporté par le flux, et à nouveau l’éponge enlève le message et n’en laisse subsister qu’une trace, des fragments, un trait de craie blanche. Maintenant, remplacez l’ardoise noire par une toile blanche.


La peinture d’ Abdellah El Haitout laisse parfois cette impression qu’elle livre un message, venu d’avant, remonté de ce long travail dans l’épaisseur d’un vécu, d’une volonté, d’un processus. En tous cas, une chose temporaire. La mer fonctionne de cette façon, au rivage où elle inscrit et efface. La toile est le point de confluence. C’est ici que le regard et le corps, et l’immensité de l’océan se rencontrent. Le travail d’ Abdellah El Haitout est de rendre visible cette zone, remplie de mystères (au pluriel), parce que la vérité à cet instant de la toile, de la planète, du doute personnel aussi, est celle du présent et de la transparence qu’elle nous donne. Révélatrice en somme.
« La toile d’El Haitout privilégie un séjour dans l’entre-deux, un lieu limitrophe par excellence. Mieux encore, elle se dépasse pertinemment pour que l’être habite au-delà des frontières, si frontières il y a. » Mounir Serhani
Dans cette épaisseur, le processus se poursuit. C’est ainsi que le temps et la matière fonctionnent. C’est ainsi que l’humain enregistre, retient ou oublie (pour partie) des pans de l’histoire. Si bien que la peinture d’Abdellah El Haitout est souvent comparée à une recherche existentielle. Sans doute, et ses études en psychanalyse pourraient le confirmer. Philippe Guiguet va même jusqu’à écrire que « sa toile est son miroir intérieur. » Et si l’on disait plutôt qu’elle est un point de rencontre entre ce qu’il a vu, ce que cette expérience de peinture lui propose de solutions et ce que le monde (ou Dieu) lui pose comme question. Ce mystère que son travail traduit en permanence par ce vide lumineux. C’est pour partie dans cette zone du non-dit (ou du déjà dit) que la peinture va et revient, et fait une autre écume sur le sable.


Dans un texte (remarquable), Mounir Serhani (écrivain) le dit ainsi : « La toile d’El Haitout privilégie un séjour dans l’entre-deux, un lieu limitrophe par excellence. Mieux encore, elle se dépasse pertinemment pour que l’être habite au-delà des frontières, si frontières il y a. Même l’inertie s’y invite et les signes désuets rejoignent le non-lieu, grâce à un voyage in-ordinaire dans la vie antérieure de la Trace. »
Nous y sommes. C’est à la fois dans l’inscrit et dans le vide qui le berce, qui l’étreint et le délaisse que la peinture se fait et se défait. El Haitout n’interrompt rien, il n’oppose rien non plus, il est dans ce qui vient, dans cet espace qui libère le possible. La transparence donne à voir l’histoire, l’immaculé est plus vaste encore, c’est au-delà du temps et de la notion mécanique de celui-ci. L’espace vierge est dans ce carré (in)déterminé de la toile, à l’image de celui de Cy Twombly, une possibilité transmise. Nos sociétés en manquent cruellement. Nos rêves circonscrits, enfermés et consuméristes aussi, nos passés de même, traduits et cadenassés. Nous avons besoin de cette liberté, dans un espace grand ouvert, dans une lumière qui circule. La peinture d’El Haitout est là, comme un battement de l’aile.
« Et il ne faut pas croire que le contenu éthique ou politique des œuvres d’art peut être considéré comme un ajout accessoire, greffé de l’extérieur, en vertu d’un mot d’ordre ou d’un code moral. Il doit bien au contraire, surgir de l’émotion esthétique produite par l’art lui-même, du jeu de ses propres ressources formelles ». Abdellah El Haitout
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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et Abdellah El Haitout.
Contact: https://www.facebook.com/abdellah.elhaitout
Repères:
Abdellah El Haitout est né en 1971, à Lalla Mimouna . Il vit et travaille à Sala El jadida-Salé.
Il a suivi des études secondaires option Arts plastique (Rabat, 1991). Il est lauréat du centre pédagogique régional de Rabat, section : Arts plastiques.
Expositions individuelles (sélection):
2019 : » Vibrations « , Kent Gallery, Tanger (Maroc).
2018 : » Pour l’amour du papier, Institut français de Kenitra (Maroc).
2016 : « Reconstruction des troubles du chaos », galerie Nadar, Casablanca (Maroc).
2013 : « Homme libre… » galerie Nadar, Casablanca.
« Ambiguïté et clarté » Mohammed El Fassi, Rabat (Maroc)
Expositions collectives (sélection) :
2020/21 : «the Gift of Art » Sahar. K. Boluki Art Gallery, Toronto (Canada).
2020/21 : Carte Blanche Fouad Bellamine, «Une nouvelle génération », galerie Abla Ababou, Rabat.
2020 : «Trais Tâche Trace.. », galerie Elbirou – Sousse (Tunisie).
2019/20 : «Osmose» Villa 7 – Rabat.
2019 : salon d’art et d’amitié, Sofitel Marrakech.
2019 : Bait Al Zubair, 2eme Forum international d’art, Mascate (Oman).
2019 : Artistes Arabes Contemporains, Stal gallery, Mascate.
2018/ 19: « More roses », Espace Expressions CDG , Rabat.
2017 : GLOBAL ART PROJECT, Baupres Gallery Mazatlan, Mexico (Mexique).
Biennale Souad Al-Sabah Kuwait city (Koweit).
2017 : WagenArt, exposition collective à Rabat.
2016 : Ins Blaue-Art Gallery, Remscheid (Allemagne).
Global Paper Art 2, Gelsenkirchen (Allemagne).
2016 : « Al Maken » Tunis (Tunisie).
source : https://www.facebook.com/abdellah.elhaitout