Cameroun/France / Italie / Plasticien / Maurice Pefura / LA VALISE EN BETON

Contraindre l’homme à l’immobilité est un non-sens. Nous avons cette obligation du mouvement inscrite dans notre génome. Elle participe à la survie de l’espèce. En cela, sommes-nous si différents des autres espèces ? de la même façon, nous allons vers des points de rassemblement. La ville est le plus attractif. Posez cette simple question à quelqu’un qui s’en va, demandez-lui « vers où tu vas ? », il vous citera l’une d’elles. Même s’il en ignore tout ou presque, si sa langue et ses codes lui sont étrangers… Il se dirige dans cette direction urbaine.

Depuis les années 90, Maurice Pefura s’interroge sur la question. Architecte de formation, d’origine camerounaise, il a fait toutes ses études en région parisienne, ville considérable, entassements de blocs gris et blancs, de carrés de couleurs et des lignes en tous sens qui la traversent. Architecte donc et plasticien aussi, qui expose déjà à cette époque dans le monde entier. Trente années ont passé et son travail garde le même cap. Qu’il s’agisse de peintures, d’œuvres plasticiennes ou d’installations. Le lieu de la destination, vers lequel le courant nous porte.

Comme des maquettes spatiales, avec des arbres blancs, identiques et répétitifs. La fiction. Le mensonge qu’on « nous » raconte et auquel nous sommes forcés de croire.

La série dont il est ici question s’intitule « Nos voyages immobiles ». Le « nous » est révélateur de cette notion sociale et politique qui traverse toute la question. Quelles décisions avons-nous prises, ou quelles directions nous a-t-on forcés à prendre ? La ville telle qu’il la montre, dans laquelle nous finirons nos jours, est d’abord une décision sociétale, une réponse assez approximative à l’obligation du « flux migratoire », qu’il soit interne ou externe, qu’il vide les campagnes ou les savanes lointaines, qu’ils nous fassent remplir ces misérables valises que Pefura montre aussi dans cette série des valises. Petits réceptacles d’une grande beauté, propres comme des maquettes spatiales, avec des arbres blancs, identiques et répétitifs. La fiction. Le mensonge qu’on « nous » raconte et auquel nous sommes forcés de croire. Une illusion dont nous n’avons pas le moindre souvenir.

L’obligation de l’entassement, la contrainte à l’immobilité.
Enfin il y a cette dernière série, débutée vers 2014, qui le dit d’une autre manière. Elle était récemment exposée à la galerie Art-Z pour à propos des « villes africaines ». On y voit quatre personnes, dans un déséquilibre prononcé. Quatre types qui marchent dans des directions différentes, courbées par le vent, du moins c’est ce que l’on suppose. Le vent ou l’adversité de la vie. La toile, monochrome gris et noir, s’intitule « Perdus en ville ». On ne sait pas d’où ils viennent. Quelle est leur origine et leur langue. Ils ont été rejetés sur ce rivage. Personne ne peut choisir de s’entasser sur ces plateaux de béton, s’agglutiner le long de ces couloirs, conduites obscures qui transportent l’humain comme les immondices. Personne.

Dans de nombreuses œuvres, Pefura propose une lecture assez vertigineuse du lieu urbain. Il lui donne cette verticalité répétitive, ces alignements de carrés, de quasi-similitude, de mots identiques, répétés à l’envi. La froideur est constante et c’est exactement à cette couleur que l’immobilité nous oblige. Et puis il revient à la toile, c’est-à-dire à la peinture qui est le mouvement, qui est le déplacement premier, qui est l’homme dans le lieu, en train de chercher l’issue. La mobilité. Nécessité vitale.

Perdus dans la ville, brou de noix, 19 x 14 cm (2012).

« Je crois qu’en général l’architecte doit être humble et un peu modeste. C’est comme lorsque les architectes décident que le béton apparent est quelque chose de très beau et de très sincère : ils conçoivent pour des gens qui ont une conception différente de la beauté et qui pensent alors qu’elle n’est pas encore finie, qu’elle a encore besoin de peinture. Parfois, il n’y a pas assez de dialogue entre les architectes et les gens ordinaires et ces derniers se retrouvent obligés de vivre comme l’architecte le souhaite. » Maurice Pefura

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos DR et by courtesy Art-Z galerie (Paris).
AFRICA URBIS – La Ville Africaine en 100 petits formats : Art-Z Gallery

À lire aussi : Maurice Pefura – AtWork (at-work.org)
Maurice Pefura, architectures souples – revue art contemporain – revue art contemporain (lacritique.org)

L’architecture de la mémoire, avec Francesca Iovene

Maurice Pefura | CAMERÆ MAGAZINE | Entrevue et visite du studio (camerae.it)

2 commentaires sur “Cameroun/France / Italie / Plasticien / Maurice Pefura / LA VALISE EN BETON

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