L’illusion est parfaite. Parce qu’il s’agit évidemment d’un mensonge. La peinture a longtemps été de cet ordre, une manipulation politique et Ange Swana Sita le sait bien. Elle prend pour prétexte la figuration classique et dans une maîtrise assez sidérante des postures, de la composition, elle manipule le propos. L’illusion est parfaite et nous continuons, pauvres bougres d’y croire ! Il y a un an, la peintre de RDC vient s’établir en France. Le détail est anecdotique, mais l’époque est aussi celle où son attention se reporte sur la peinture classique et tout ce qu’elle peut véhiculer d’idées (reçues) et de plaisirs (venimeux). Le baroque n’a-t-il pas été inventé pour contredire la montée du protestantisme ? Un moyen efficace de vanter son produit et de reconquérir sa clientèle. De la même manière, d’autres peintres figurent les Colonies, dans des habits et des croyances étrangères à la réalité. C’est justement cet aspect qu’Ange Swana accroche dans son cadre référentiel. La manipulation.

Ce qui était vrai aux 17 et 19ᵉ siècles, le demeure aujourd’hui. « Des générations de jeunes gens avancent à l’aveugle, vers un avenir incertain. Je crois que ce manque important de références propres – méthodiques, historiques, institutionnelles- est terriblement préjudiciable. Comment définir ses propres idéaux, et résoudre les problèmes d’une époque et d’une société, si nous n’avons pas ces outils ? », explique-t-elle en introduction à son travail actuel.
De la même manière que Wole Lagunju (Nigeria) ou Ayanda Mabula (Afrique du sud), elle prend donc ces instants d’histoires (razzias négrières, colonisation européenne, christianisation…), pour les remettre dans la perspective appropriée. Confrontation des langages, réappropriation historique… et qu’on cesse de nous raconter n’importe quoi. Parce qu’il s’agit bien de ça : raconter. Ange Swana en revient d’ailleurs à ce point et l’importance que la transmission orale, familiale dans son cas, a pu jouer dans sa propre construction. Si elle peint de cette manière, si elle se promène avec lucidité dans ces figurations étrangères, la force lui vient d’un autre récit. Un récit africain, « transgénérationnel », qui m’a été restitué « sans fouilles matérielles ». Ces modes de transmission me donnent aujourd’hui une capacité de comprendre. »


« … des références propres. Comment définir ses propres idéaux, et résoudre les problèmes d’une époque et d’une société, si nous n’avons pas ces outils ? » Ange Swana Sita
La série s’appelle « La Robe des rêves ». Onirique et politique. Sous une bulle de savon, une « Vierge » noire regarde un petit « Jésus » s’approcher. Son regard est froid, l’enfant victime de la cellulite. Ne riez pas. Que va faire cette mère ? Dans sa main, elle tient une lance. À d’autres endroits, des femmes assises rappelle ces « Républiques » triomphantes, la mamelle dénudée, des lardons affamés qui manifestent leur enthousiasme.
Ange (qui n’en est pas une), change juste les couleurs et la tenue. À vous d’en faire l’analyse. Dans ce catalogue, rien n’est gratuit. Il s’agit finalement de savoir à quel instant et quelle situation correspond le produit. République, religion, déni d’identité, voiture de remplacement, non remboursable et garantie plusieurs siècles, pièces et main d’œuvre.
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Repères:
Ange Swana Sita est née à Gisenyi (Rwanda) en 1987, et a passé son enfance entre le Rwanda et l’est de la RDC (nord- Kivu). En 1994, sa famille a gagné Kinshasa.
Etudes secondaire en littérature et philosophie. Ensuite, elle intègre les Beaux-arts de Kinshasa jusqu’en 2007. En 2012, elle rejoint la structure Kin art Studio. Participe à sa première expo cette même année lors du RIAC de Brazzaville.
Principales expos:
2013: » Poule mouillée, peuple noyé », Ateliers Sahm, Brazzaville (Rép. Congo).
2014: » Dakar, laboratoire d’art contemporain? », fondation Blachère, Apt, France.
2016: » EROTICISM AND INTIMACY, FACES, PLACES & PATHS », FNB Joburg Art Fair, Johannesburg (Afrique du sud).
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