Il est fort possible que cela vienne de se passer. Cette impression terrible d’être dans le drame, sa quotidienneté et sa répétition. Cedric Sungo continue de relever les corps ou de saisir leur silencieuse chute. Silencieuse, parce que les regards l’ignorent, dans une indifférence aussi cruelle que le massacre lui-même. Il n’existe aucune comptabilité exacte des morts au Kivu. Cette statistique n’intéresse personne. Les guerres se succèdent, les victimes continuent de s’entasser, dans l’anonymat. Des corps sans nom, à l’image de ses personnages de fils et de fer, ces marionnettes métalliques, dans l’effondrement immobile. Ces visages barrés d’une croix.

L’exposition d’Abidjan (Fondation BJKD) que le sculpteur congolais (RDC) partage avec le peintre Deve est tout entière dans cette phrase : « T𝘰𝘶𝘵𝘦𝘴 𝘤𝘦𝘴 𝘨𝘶𝘦𝘳𝘳𝘦𝘴, 𝘤𝘦𝘴 𝘮𝘢𝘴𝘴𝘢𝘤𝘳𝘦𝘴 𝘲𝘶𝘪 𝘦𝘯 𝘥𝘦́𝘤𝘰𝘶𝘭𝘦𝘯𝘵, 𝘤𝘦𝘵𝘵𝘦 𝘮𝘰𝘯𝘴𝘵𝘳𝘶𝘰𝘴𝘪𝘵𝘦́ 𝘱𝘦𝘳𝘮𝘢𝘯𝘦𝘯𝘵𝘦 𝘦𝘵 𝘳𝘦́𝘱𝘦́𝘵𝘦́𝘦, 𝘯’𝘢 𝘥’𝘢𝘶𝘵𝘳𝘦 𝘳𝘢𝘪𝘴𝘰𝘯 𝘲𝘶𝘦 𝘭𝘦 𝘱𝘪𝘭𝘭𝘢𝘨𝘦 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘳𝘦𝘴𝘴𝘰𝘶𝘳𝘤𝘦. » Il en est ainsi depuis des décennies, qu’il s’agisse de l’or, du diamant, des métaux rares et hautement technologiques, que l’exploitation soit officielle ou clandestine, l’activité baigne dans le sang et le sacrifice. La sorcellerie est là, dans le fétiche du profit. Des millions de morts, des générations sacrifiées, des vies passées sous la terre, dans cette invisible profondeur des boyaux de mines, au profit exclusif des décideurs internationaux.

La sculpture de Sungo est un drame. Ces corps interrompus, pris dans la chute, saisis par la mort brutale, nous renvoient à une question planétaire. « L’𝘦𝘹𝘱𝘭𝘰𝘪𝘵𝘢𝘵𝘪𝘰𝘯 minière 𝘢 𝘵𝘰𝘶𝘫𝘰𝘶𝘳𝘴 𝘦́𝘵𝘦́ 𝘶𝘯 𝘱𝘪𝘭𝘭𝘢𝘨𝘦. 𝘛𝘰𝘶𝘵 𝘭𝘶𝘪 𝘦𝘴𝘵 𝘴𝘢𝘤𝘳𝘪𝘧𝘪𝘦́. 𝘓’𝘦𝘯𝘷𝘪𝘳𝘰𝘯𝘯𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵, 𝘭𝘦 𝘱𝘢𝘺𝘴𝘢𝘨𝘦 𝘢𝘯𝘤𝘪𝘦𝘯 𝘦𝘵 𝘴𝘢𝘤𝘳𝘦́, 𝘭𝘢 𝘷𝘪𝘦 𝘥𝘦𝘴 𝘩𝘰𝘮𝘮𝘦𝘴 𝘭𝘦𝘴 𝘱𝘭𝘶𝘴 𝘧𝘢𝘪𝘣𝘭𝘦𝘴. », explique-t-il, et de poursuivre que son travail “est une mise à nu de l’histoire. » De la même façon que les artistes de Lubumbashi et Sammy Baloji remettent cette histoire au cœur de l’œuvre, Sungo place le métal au centre vibrant du travail, photographique et identitaire. Quelle qu’en soit la couleur et le prix, un métal qui fait chair et douleur, au centre de la pièce, dans le dénuement de celle-ci, des corps qui racontent la non-vie.
Deve (peinture) et Cédric Sungo (sculpture), du 2 décembre au 22 janvier, Fondation BJKD, Riviera 3, Abidjan (Côte d’Ivoire).

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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et C. Sungo.
cedricksungomome@gmail.com
Tél. : (+243) 813 87 18 42
Repères:
Cédric Sungo est né en 1992 à Kinshasa (République démocratique du Congo). Il est diplômé en sculpture métallique de l’Institut des Beaux-Arts et de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa. Membre du collectif Vision Total (VITO). Vit et travaille à Kinshasa.
Contact: C. Sungo est représenté en France par la galerie Kiunga.
Désirée Roua. Tél.: 06 62 90 79 71
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❤️
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c’était le premier article, the first one!
thxs!
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