Chez Ousmane Mbaye, les mots ont un sens. Ce ne sont pas des couleurs que l’on jette au hasard. Parfois, les gens lui demandent le pourquoi de ce choix: le design, plutôt que la sculpture? Comme si ces deux mondes se regardaient à une grande distance. « Dessiner un meuble, c’est également réfléchir à cette dualité de la fonction et de l’esthétique, » répond-il. Ce qui n’est pas une formule, de loin s’en faut.
En parlant d’esthétique, le designer sénégalais couvre un champ immense de correspondances. Elles partent de son quartier dakarois de Soumbédioune, de son père frigoriste, et elles croisent tous les mouvements du dessin industriel et domestique, tels que l’Occident les produit. Croisements de routes ? Migration de la forme et du savoir, chez l’un des designers les plus importants du continent.

Si vous poussez la porte de sa boutique parisienne, au cœur du Marais, ne vous y trompez pas. L’éclairage est européen, les murs blancs et nus, mais c’est bien au Sénégal que le mobilier tire sa sève première. Et elle n’est pas que biographique. « J’ai grandi dans ce quartier de Dakar qui est celui des artisans. On travaille ici le métal, le bois, on soude, on scie, on colle. Pendant 17 ans, j’ai travaillé avec mon père et puis, il y a cette envie de « décorer » qui me vient. À ce moment-là, je suis entré dans les boutiques et j’ai posé des questions sur le travail. Tout m’intéressait. Finalement, j’ai produit un chandelier... » sourit-il, parce que la lumière lui est essentielle, tout comme la couleur jaune qui l’accompagne d’une collection à l’autre.
« …Son imperfection me plait, et aussi la nature du métal. C’est une matière avec laquelle on ne triche pas. » Ousmane Mbaye
La question posée serait donc celle du choix du mobilier. Sa réponse tiendra (pour partie) au « pragmatisme ». La fabrication d’un objet, aussi sophistiqué soit-il, est plus plausible qu’une œuvre d’art. Mais pas seulement. Le design permet de se frotter à l’entre-deux. « Je ne conçois pas de création sans la fonction. Un meuble, c’est à la fois une utilité et l’esthétique que l’on dépose dedans. » C’est ainsi qu’il va successivement élaborer un secrétaire, une chaise, des chevets…. et avec ce qu’il trouve, par commodité financière. « La récupération en elle-même ne m’intéresse pas, dit-il, c’est la matière qui me passionne. Je n’avais pas de moyens, et le fût métallique était accessible… et coloré. Il avait un vécu. En fait, il est comme nous, tout cabossé… Son imperfection me plait, et aussi la nature du métal. C’est une matière avec laquelle on ne triche pas. » Qu’il ait été le premier à le (re) convertir en commode, en fauteuil, en table et tabouret ne présente à ses yeux qu’un intérêt limité. Que d’autres l’aient ensuite copié lui est totalement indifférent.


Il n’y a rien d’anecdotique dans ce travail. Ousmane Mbaye a totalement intégré cette idée que nous étions des êtres composites, nourris d’innombrables histoires et que c’est ce charabia organique qu’il faut ordonner. Quand il est arrivé, il y a 17 ans, à Paris, il avait juste en main un carnet et des croquis. L’accueil a été glacial, pour ne pas dire impoli. Dix-sept ans, pour montrer (la rue de Turenne est l’une des « plus » chics du Marais) et surtout créer, en totale liberté. Ousmane ne répète pas un schéma. Il se pose devant ses tiges, il regarde ses plaques ; pas de dessin préparatoire, juste ses mains et la matière. L’objet achevé, ses assistants prendront les côtes. Le designer conçoit son meuble comme s’il le dessinait… en vrai.
Sa dernière collection, laquage blanc sur tiges d’acier, est d’une pureté absolue. Elle joue des langages, comme de la couleur et de la juxtaposition. La continuité est évidente, c’est en somme la signature, mais le glissement est progressif, entre l’Afrique et l’Europe, l’école milanaise, les buffets bas de Paul Evans, l’héritage du Bauhaus et les meubles tubulaires de René Herbst, sans que l’Afrique s’égare. La table « Patrimoine » en est un exemple évident. Et son tabouret dans une inscription parfaite avec celui que l’on glisse sous la nuque, à l’heure de la pause.

Patrimoine. Le designer n’oublie jamais que c’est dans ce creuset que tout commence. Depuis quatre ans, il a ouvert une école de design au Sénégal, sur ses fonds propres. L’enseignement est calqué sur ce qui se fait en Europe, à l’image de Boulle ou de l’École supérieure d’art et de design de Saint Etienne. Cursus académique, mais pas seulement. Ousmane permet aussi à des jeunes sans instruction, qui ne savent ni lire, ni écrire, de se former aux métiers. Les deux sections sont distinctes, mais nombre de travaux communs. Ce projet est son « enfant chéri », comme l’aboutissement, la transmission sans laquelle rien n’avance. « Aujourd’hui, 95 % des objets nous viennent de l’Europe. Nous nous habillons, nous nous meublons, nous mangeons des produits qui ne sont pas les nôtres. Former des jeunes, c’est aussi changer notre regard. Que ces choses sont belles et que nous les faisons, et que nous nous en servons. »

Actuellement visible (jusqu’au 22 février), la collection « Soumbedioune », boutique rue de Turenne (Paris).
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: O. Mbaye Ousmane
Mbaye design, 19 Rue de Turenne, 75004 Paris.
#OusmaneMbayeDesign
Splendide !!!!!!!
J’aimeJ’aime
C’est aussi une personne qu’on aimera beaucoup revoir, parce que ses lignes ne sont jamais figées, le croisement est permanent, et le regard… Vraiment très bien à rencontrer.
J’aimeJ’aime
J’irai faire un tour à la galerie parisienne, et j’y pense encore merci pour l’info sur l’expo à Saint Denis, c’était juste très émouvant et génial, ces femmes artistes m’ont enveloppée, emportée !
J’aimeJ’aime