France-Brésil / Plasticien / Alexis Peskine / DANS L’ABÎME DU VISAGE

Des visages sombres, dans une identique couleur, comme s’ils étaient recouverts de terre ou de poussière. Des visages dans une lumière identique. Il s’agit d’hommes et de femmes issus du quotidien, de tous les horizons. Ils sont Africains ou Américains, ils vivent dans des banlieues européennes. Alexis Peskine ne perd jamais aucun de ces éléments de vue. Vient alors à l’esprit le souvenir de ces portraits de paysans russes, fin 19ème.. Ou celui des fermiers du Dust Bowl (1930) que photographiaient Dorothea Lange et Walter Ewans. Des visages d’humains, dans la détresse de leur temps. Et pour que l’âme s’éclaire enfin, dans cet abîme du visage, Peskine rehausse de feuilles d’or certains éléments. La lumière, indispensable, au fond des ténèbres.

Il y a quelques semaines, Alexis Peskine donnait une interview à The Art Momentum. C’était à l’occasion de X Lagos. Voilà une foire contemporaine consciente des enjeux que l’art propose et des contradictions légitimes qu’il peut opposer aux pouvoirs. Peskine pointe justement du doigt ces pouvoirs et l’usage immodéré du crime et de la matraque. C’est le cas au Nigéria et X Lagos l’a plusieurs fois dénoncé. C’est le cas en Amérique, en Russie et en France. L’interview lui permettait donc de revenir sur certains points essentiels comme la responsabilité humaine. Un artiste a (parfois) ce genre de préoccupation. Mettre dans son temps la question, montrer ces visages de femmes et d’hommes abrutis de souffrance et de misère.

« Mon éducation m’a apporté des valeurs, disait-il. Il y a deux choses avec les valeurs ; il y a votre caractère, qui vous êtes, puis c’est mélangé avec vos valeurs familiales, ce que votre famille vous apporte. Je dirais que je suis humaniste. J’aime le terme humaniste parce qu’il parle de traits humains positifs. Je ne sais pas si être humain est nécessairement la chose la plus positive si vous regardez la planète et ce que nous lui faisons et à d’autres espèces, mais, d’après ce que je comprends d’être humaniste, c’est vouloir la justice pour tous et être du côté des opprimés. » Dans ce préambule à la conversation, beaucoup de choses sont dites et qui éclairent son travail plasticien tout comme sa conscience.

Peskine n’a nulle envie que ses travaux se taisent. Dans le geste, il l’exprime de cette façon : ses portraits de très grande taille se composent d’une multitude de clous. Les pointes sont minutieusement enfoncées dans la « chair » du support et révèlent le visage, son volume, sa tristesse, sa patience infinie, sa capacité d’endurance. Les visages sont noirs, parce que cette couleur est celle qu’il défend. Des visages noirs issus de toute l’Afrique, des Caraïbes, des rues américaines, des banlieues de nulle part. Et qui vivent cette réalité de l’oppression. Permanente.

« J’aime le terme humaniste parce qu’il parle de traits humains positifs. (…) d’être humaniste, c’est vouloir la justice pour tous et être du côté des opprimés. » » Alexis Peskine

La période du Covid n’a fait que renforcer cet état de fait, poursuit-il un peu plus loin. Ce virus est un formidable révélateur des inégalités sociales, de la violence exercée sur les minorités, des exactions policières et de la compromission que les médias peuvent démontrer. En France, aux Etats-Unis et en Afrique de la même façon. Le travail de Peskine montre cette chose, et tant que ces faits vont perdurer, il le dira, il le clouera et quel que soit le médium, le mettra sur les murs. C’était le cas à Paris, lors de l’AKAA 2021, où une enseigne londonienne (October gallery) le représentait. Les « figures du pouvoir » contrastaient alors de façon définitive avec les peintures guillerettes proposées sur d’autres stands, sorties d’études marketing et très adaptées à la couleur de votre canapé.

En 2017, au moment où il présentait « Raft of Medusa », travail réalisé sur les migrants, le plasticien évoquait la référence au tableau de Géricault. Il disait avoir découvert cette peinture, enfant, avec son père, lors d’une visite au Louvre (Paris). L’œuvre gigantesque, terriblement physique, l’avait fortement frappé. Ici, la vision d’un désastre, sur lequel, plus tard, il placera les visages qu’il trouve légitime de montrer. Peskine est d’origine africaine, mais pas seulement. De nombreuses filiations le nourrissent. L’humanité tout entière est une diaspora. Dans l’épaisseur du « tableau », s’ouvrent alors des plaines immenses. Elles commencent à l’est de la Pologne et s’en va vers la Russie. Les villages s’écrivent en yiddish « shetl » et les visages sont les mêmes. À moins que ce ne soit une forêt congolaise, un lit de ténèbres que traverse un fleuve. Apocalypse now. Des visages maculés de boue et réhaussés d’or. Une humanité qui s’accroche à des planches, dans une mer déchaînée.

Roger Calmé (ZO mag’)
photos: DR et by courtesy October Gallery
A lire: https://theartmomentum.com/alexis-peskine-collective-ambition/

Repères:
Alexis Peskine naît à Paris en 1979.
A 15 ans, entre au CFA des Arts graphiques, rue Orfila (Paris). A 17 ans, part aux Etats-Unis jouer au basket et entreprendre sa formation en art. Diplômé bachelor of Fine Art, Université d’Howard, Washington DC (2003), puis Master of Digital Art (2004). En 2005, il intègre l’École des Beaux-Arts du Maryland, grâce à une prestigieuse Bourse Fullbright. Deux institutions new-yorkaises le remarquent : le Musée Whitney et le Nouveau Musée d’Art Contemporain. Dès lors, ses expositions se multiplient partout dans le monde (New York, Washington, Baltimore, Chicago, Paris, Luxembourg, Dakar, Johannesburg, Le Cap…).

Il vit désormais entre Salvador (Brésil), New York, Paris et Dakar.

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