« Quand les gens voient la couleur, ils se disent que c’est la joie. Moi, si je mets la couleur, c’est pour dire que c’est une chose grave qui nous arrive. ». Dans ses dernières sculptures, Agnès Tebda pose un indigo lumineux sur des corps allongés. Définitivement couchés. En juin dernier, les milices islamistes sont entrées dans le village de Solhan. Les hommes ont ouvert le feu sur les habitants et 160 corps, dont une vingtaine d’enfants, ont été massacrés. Les cadavres sont là, dans la poussière, vêtus d’indigo.

La plasticienne burkinabé saisit donc son époque pour dire la souffrance, le crime, la pauvreté et l’errance. Elle avait six ans quand son père est mort, que sa mère a dû quitter la maison et vivre ailleurs, mariée à un frère du défunt. Elle en avait trois quand les couteaux des femmes ont ouvert son corps et coupé dans sa chair. Rouge était le tissu, rouge comme le sang qui coule d’entre les jambes de l’enfant.
« Je veux dire ça, pour toutes ces femmes qui sont mutilées, pour toute cette souffrance, parce que ça va durer toute une vie. », explique-t-elle. En 1996, le Burkina Faso a légiféré et déclaré illégales les mutilations génitales féminines (MGF). Pourtant, le crime n’en continue pas moins. En 2018, dans la petite ville de Kaya (une centaine de kilomètres au nord de Ouagadougou), l’hôpital recueille plusieurs dizaines de petites filles. Les hémorragies qu’elles présentent sont gravissimes et les infections tout autant. En 2015, une enquête faisait état de chiffres toujours aussi alarmants. Selon le rapport, 67.6 % des femmes et filles burkinabè âgées de 15 à 49 ans déclaraient avoir subi l’excision.
« Je veux dire ça, pour toutes ces femmes qui sont mutilées, pour toute cette souffrance, parce que ça va durer toute une vie. » Agnès Tebda
C’est cette chose qu’Agnès Tebda habille dans le rouge de sa toile. Il s’agit d’un grand tissu, ou d’une flaque de sang. Il est posé sur le tableau et en cache une grande partie. Une tache comme un drapeau sanglant, d’une vie qui s’en va, d’un cri qui perce la lumière. On ne voit pas l’enfant. Parce qu’il est voilé par ce sang. Juste des visages sont au-dessus. Des femmes qui le tiennent, pendant que les couteaux entrent dans sa chair. Les mots sont trop durs ? Il ne faut pas le dire ? Il ne faut pas le répéter ? C’est cette réalité qu’Agnès a vécue. Elle avait trois ans. C’est ce cri qu’elle a poussé, comme ces enfants dans l’ombre de la case, tenus au sol par les mains d’autres femmes. La couleur est juste là pour le dire.
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RC (ZO mag’)
Photos: A. Tebda
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