C’est une toile hors normes, et la dimension n’en est pas l’unique raison. Sur les 40 mètres que la peinture raconte, des vies, des témoignages prennent leur place, des paroles qui trouvent une écoute. Les enfants qui ont participé à l’œuvre de Bernard Tano, ont entre 6 et 14 ans. Un jour… la rue est devenue leur seule maison. Les familles les mettent à la porte, leurs parents disparaissent, les services sociaux sont incapables de prendre la mesure du problème. On est en Côte d’Ivoire, mais aussi au Cameroun, au Burkina-Faso, en RDC. Ils sont des milliers qui dorment sur des cartons. Et sur ces bouts de papiers récupérés, ils disent leur vie.
« …quand les gens verront ça plus tard, ils se diront aussi que ces enfants ont participé à cette mémoire. » B. Tano
Il y a deux ans, Bernard est parti avec son projet de fresque murale, rencontrer ces délaissés à Ouagadougou. « Les raisons sont souvent les mêmes, c’est l’abandon, mais la situation s’exprime différemment, parce que les conditions sont particulières et le regard des habitants aussi. » Pendant son séjour dans la capitale, l’artiste a invité ces gosses à mettre sur le papier (journal) leurs émotions du moment. « Le papier journal ? Parce que c’est une mémoire qui va peut-être disparaître. Le numérique bouleverse tout. Donc quand les gens verront ça plus tard, ils se diront aussi que ces enfants ont participé à cette mémoire. »

Une fois son travail terminé, Bernard est rentré à Bingerville (Côte d’Ivoire) où il s’est mis à travailler sur l’immense toile. « Les dessins, les écrits sont encollés sur le support avec une colle résine qui résiste aux intempéries, et j’utilise de l’acrylique, mélangée à des liants pour la rendre plus résistante. » Au total, il lui a fallu un an, en gros la durée du confinement, pour achever ce travail, en attente désormais d’être montré. On serait tenté de dire, que nos villes regardent un peu la réalité en face, sur et devant leurs murs.
Début novembre, Bernard Tano repart à Ouagadougou (Burkina-Faso) poursuivre avec les gosses ces séances. Chacun de ses projets, chacune de ses fresques empathiques s’inscrivent aussi dans ce processus, à la fois la durée, la répétition des contacts et le partage de la toile. La rue dit-il est son domaine. C’est à peine s’il glisse un mot à ce sujet, juste à la fin de l’entretien. Bernard Tano avait sept ans, quand un jour…
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« Crise d’empathie », acrylique, collage, vieux journaux et pastels sur toile. 40 m x 1,5 m (2019) .
Roger Calmé (ZO mag’)
Photo: B. Tano
Contact: https://www.facebook.com/bernard.tano.14
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