La céramique est une harmonie. Son fonctionnement est au contraire du chaos. Qu’on cède à la violence du feu ou à celle de l’eau, que la main refuse et le pot se casse. Et l’œuvre devient débris. Jacira da Conceição est une femme intimement convaincue par la beauté de ce qui l’entoure. Tout est là. La lumière de son île, la fertilité de l’océan et celle de la terre. L’atelier et la salle d’exposition s’inscrivent dans ce prolongement. Les pots n’encombrent pas l’espace, ils se fondent à la vie, au mouvement quotidien, ils se remplissent et se vident. De la même manière, Jacira commence le récit de son travail : « 𝘑’𝘢𝘪 𝘨𝘳𝘢𝘯𝘥𝘪 𝘢̀ 𝘊𝘩𝘢̃𝘰 𝘉𝘰𝘮, 𝘴𝘶𝘳 𝘭’𝘪̂𝘭𝘦 𝘥𝘦 𝘚𝘢𝘯𝘵𝘪𝘢𝘨𝘰 (𝘊𝘢𝘱-𝘝𝘦𝘳𝘵). 𝘔𝘢 𝘮𝘦̀𝘳𝘦 𝘵𝘳𝘢𝘷𝘢𝘪𝘭𝘭𝘢𝘪𝘵 𝘢̀ 𝘭𝘢 𝘱𝘭𝘢𝘯𝘵𝘢𝘵𝘪𝘰𝘯 𝘦𝘵 𝘮𝘰𝘯 𝘱𝘦̀𝘳𝘦 𝘦́𝘵𝘢𝘪𝘵 𝘱𝘦̂𝘤𝘩𝘦𝘶𝘳. 𝘊’𝘦́𝘵𝘢𝘪𝘵 𝘶𝘯𝘦 𝘦𝘯𝘧𝘢𝘯𝘤𝘦 𝘴𝘪𝘮𝘱𝘭𝘦 𝘦𝘵 𝘩𝘦𝘶𝘳𝘦𝘶𝘴𝘦. »

C’est à l’adolescence qu’elle a découvert le travail de potière, au sein de la communauté de Trás di Munti. Au contact d’ Isabel Semedo et de sa fille Mariazinha, Jacira da Conceição apprend à pétrir l’argile et assimiler les techniques traditionnelles, le binde, le moringo et toutes les autres formes. Cette maîtrise semble le meilleur moyen de garder le contact premier à la terre. Elle le répète souvent dans ses interviews, « ce sont des lieux qui me manquent et les époques aussi. Le temps des semailles, la joie de voir la pluie arriver, la beauté de l’île qui redevient toute verte d’un coup. ». Comme une pointe de mélancolie.
L’argile et le feu lui sont nécessaires pour cette raison. Et quand elle part en 2009, pour un voyage en Amérique du sud, le souvenir le plus marquant qu’elle retient est son passage chez les femmes quilombo. Cette communauté de potières entretient une parenté de gestes et d’esprit, le fait que la terre est commune et que son langage ne s’encombre d’autres mots. Retrouvailles en somme.

« Si vous pouvez apprendre, si vous pouvez aussi fabriquer, et les deux ensemble, c’est tout ce dont vous avez besoin pour continuer votre voyage. » Jacira Fernandes da Conceição
En 2020, « Saudade do sal da Terra » l’exposition réalisée avec son compagnon Pedro da Conceição, est un hommage à la beauté de son île. Le Cape Verde Cultural Center (CCCV) de Lisbonne découvre alors ses jarres et ses coupes traditionnelles, sillonnées de traces et de symboles. Le travail est d’une grande rigueur, mais en même temps, il s’en dégage une poésie quasi rituelle. C’est un chant ancien qui monte de cette glaise. Comme une vaisselle retrouvée au fond d’un tombeau, d’une pyramide, dans ce retour à la terre, qui est le commencement et le terme.
Au mois de juin dernier, le musée d’Archéologie et d’ethnographie de Setubal (Portugal) propose une seconde exposition, intitulée « Badia ». La terre est de la même couleur, mais les pièces de plus grande dimension et le motif féminin revient d’une façon assez similaire à celle des pots antiques. Ils évoquent une course ou une danse, la poursuite d’un but, la joie d’une musique. Une critique, Joaquina Smith parle alors de « résilience héroïque » et « d’une vision féminine de l’existence ». Sans doute, mais ce serait un peu le réduire à une formule. En les observant, il semble que ces poteries iront un jour à la sculpture. Qu’elles sont aussi fertiles de cette possibilité.
Déjà, dans un coin de la salle, Jacira assoient des femmes autour d’une tâche, dans un lieu de dialogue. La communauté est toujours au centre du travail de Jacira. Le pot est un lieu qui rassemble, qui passe de main en main. Il est fait de terre, cette même Terre qui nous porte.
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RC (ZO mag’)
Photos: © Jacira da Conceição
Repères:
Jacira da Conceição est née le 23 février 1990 à Chão Bom, sur l’île de Santiago (Cap-Vert).
Elle vit actuellement à Montemor-o-Novo, au Portugal.
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