Ont-ils entendu du bruit, quand les hommes ont approché du village? Un moteur qui s’est éteint à l’approche des maisons, et ensuite des portières qui s’ouvraient, puis des voix et des pas sur la terre sèche. Beaucoup de villageois dormaient. Les vieux peut-être ont senti que ce n’est pas le même silence, qu’il y avait quelque chose de lourd, une menace chuchotée. Ensuite…
Tout est écrit dans l’installation d’Agnès Tebda Talato. C’est à s’y méprendre, la même atmosphère que cette nuit du 4 au 5 juin dernier. Le massacre de Solhan est le pire que le Burkina Faso ait connu. Au cours de cette tuerie, 160 villageois seront exécutés, dont une vingtaine d’enfants. Quelques heures plus tôt, une attaque du même type faisait 14 victimes dans le village de Tadaryat, près de Tokabangou (région de Oudalan). De cette horreur, Agnès Tebda témoigne.
Il y a huit ans de ça, cette couturière de Ouagadougou a trouvé que les nuits étaient trop longues pour ne rien en faire. Tout ce temps pouvait être mis à profit. Elle a donc commencé par peindre. Dans ce mot, il faut entendre un sens différent que le simple fait d’appliquer la couleur et de faire joli. Peindre, c’est affirmer son identité, sa quête de vérité, sa revendication légitime. Peindre, c’est être une femme entière, physiquement et moralement intègre. Le mot est si souvent utilisé au masculin.
Ses oeuvres vont donc aborder des thématiques fortes qui parlent de l’éducation, de l’accès à l’eau, du respect de l’enfant, du caractère sacré de la femme. Et pour cela, elle use de la toile, du tissu récupéré dans l’atelier de couture, du collage, puis de cette terre qui nous porte, qui nous nourrit, et dans laquelle on couche aussi le corps des victimes.

L’oeuvre qu’elle propose ici est de cet ordre. Un enfant s’éveille dans la nuit froide, bleue et morte de cette case. A ses côtés, son père et sa mère, ou plutôt ce qu’il en reste. Epars, morceaux d’histoire brisée. Le massacre a duré deux heures, puis les 4×4 sont repartis. Il n’y a rien d’autre à dire, que les larmes de l’enfant.
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Espace Iroko, du 10 au 25 octobre, aux côtés d’Isabelle Bulczynski-Dossa, de Sessi Milia et de Sambo Boly
RC (ZO mag’)
Photo: DR et Agnès Tebda Talato
Repères:
Née en 1978, Agnès Tebda vit et travaille à Ouagadougou. Couturière de profession, elle a débuté la peinture avec Dominique Bassolet à Napam-Béogo, puis aux côtés du peintre Boly (2013) et avec André Kane en sculpture et marionnettes (2017).
Dans le cadre d’un accueil d’études, elle a été invitée durant le semestre d’été à l’Académie des Beaux-Arts de Karlsruhe (Allemagne).
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