La maison est au bout d’une rue, qui va se perdre sous une colline. Plus loin, il y a des champs qui commencent. Ana Silva pourrait dire chaque pierre de cette maison, chaque fissure qui se dessine sur le blanc des murs. Dire l’ombre qui règne, à cause des volets clos, et au centre de la pièce, cette femme qui est assise et qui rassemble l’histoire. Elle en est le réceptacle et la diffuse autour d’elle, comme une mosaïque de liens, de particules suspendues, lumineuses et mouvantes. C’est de cette façon que le temps fonctionne, dans la transmission de la lumière qui précède.

La ville s’appelle Calulo. Son village est un peu plus loin, dans la province de Cuanza Sul. Elle a vécu ici sa petite enfance, avant de partir pour le Portugal, à l’âge de 7 ans, au moment de la guerre. L’histoire d’Ana est faite de départs et de retours, de ballots posés sur des quais. Plus tard, au moment de son université, elle a étudié à Lisbonne, mais son esprit est resté au pays africain. Elle en parle ainsi: « Quand je suis revenue en Angola, la première fois, j’ai repris le même chemin. Au bout, il n’y avait plus personne. A cause de la guerre, tout le monde était parti. Le village était vide. » La guerre est sur la place centrale, la maison aussi, et sa grand-mère qui à son tour va s’effacer. Ce sentiment ne la quittera plus.
En 2001, quand elle s’établit au Portugal, ses mots sont sans équivoque : « Lisbonne n’avait aucun sens. La ville me paraissait dénuée d’intérêt. J’étais dans une ville… vide. A partir de ce moment, j’ai cherché à recomposer l’histoire, à la remplir avec des choses où je pouvais me reconnaître. » L’album de photo est à nouveau sur la table. Une planche que l’on retire et qui ouvre le puits au fond duquel tu trouves de l’eau. Les images du temps d’avant sont là: les photographies de la grand-mère, déjà âgée, ses mains posées sur sa robe grise, entourée de ses filles et de ses petites-filles. Parce que la transmission est un point tellement important. Privée de celle-ci, le monde perd sa signification.


Dans ces tissages de dentelle, dans ces portraits cousus, imprimés, rapportés, couverts de ciel ou de poussière, d’une clarté réparatrice aussi, dans cette trentaine d’œuvres, Ana rétablit le courant, c’est-à-dire la circulation de la mémoire, du sens, l’air qui va de pièce en pièce. « Ces œuvres expriment le passage de la vie de ma grand-mère à celle de ma fille. C’est un projet que j’avais en tête depuis longtemps. Ma fille est née au Portugal de deux parents métis, moitié-portugais, moitié-angolais. Elle est venue pour la première fois en Angola à l’âge de trois ans. C’est là qu’elle a connu ma grand-mère. » Il est possible que la vieille femme ait attendu cet instant pour s’éteindre.
« Quand je suis revenue en Angola, la première fois, j’ai repris le même chemin. Au bout, il n’y avait plus personne. A cause de la guerre, tout le monde était parti. Le village était vide. »
De la même façon, il faut voir l’image qui ouvre l’exposition. Ce n’est pas une oeuvre, mais un portrait familial. Ana Silva est au centre la pièce, entourée de ses sœurs, de ses nièces, de ses enfants. Elle est au centre de l’album, comme elle le dit dans ce poème :

« En possédant un portrait de famille, je te communique par les lignes que j’entrelace /
Le dessin qui se révèle/
Au fur et à mesure dans la multitude de dentelles tombées en désuétude /
Pour que tu continues à connaître/
Pour que tu n’oublies pas. »
La dentelle est le médium qu’elle a choisi, lumineuse, fragile, patiente, qui relie et rassemble, transmise et transparente… Une métaphore du temps qui jamais ne meurt. Une lumière sur un mur.
Roger Calmé (ZO mag’)
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Portrait de famille, Ana Silva, du 4/9 au 16/10, galerie Magnin-A (Paris)
http://www.magnin-a.com/fr/expositions/presentation/248/portrait-de-famille
Une sélection des séries Agua, Enfant et Grand-Mère seront à découvrir au Grand Palais Éphémère. Art Paris (9-12 septembre), sur le stand de la galerie.
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