Les peintres ont parfois la tentation d’une unique couleur. A cet instant, leur volonté est de conclure un cheminement. On peut citer le jaune solaire d’Ablade Glover (Ghana) dans une affirmation de la vie. Ou encore les orangés de Tuner, sur cette Tamise gorgée d’or, le ciel et l’eau faites d’une même vapeur. D’autres inscrivent une conclusion plus ultime. Malevitch n’y survivra pas. Carrés blancs ou noirs sur des fonds identiques. Au-delà la peinture s’achève et l’homme aussi qui l’a faite, couche par couche, qui l’accouche, et dont il se recouvre, comme d’un linceul.

Il y a quelques mois, le peintre togolais Koffi Kugbé parlait dans une interview à ZO mag’, du blanc, comme d’une résolution quasi mystique: « Il est lumière et dissout la forme, la couleur, il l’inonde et la nourrit. Je m’intéresse à ça, à la couleur, prise dans le mouvement de la lumière, dans ce tourbillon qui donne le mouvement. Plus rien n’est statique. La composition perd de son importance, la forme n’organise plus le tableau. Peut-être d’essayer de capter ce qui organise… et qu’on ne voit pas. Le « Tout » qui est derrière cette réalité. » Le blanc est à cette image. Il est avant la toile, et il sera ensuite. Il est l’alpha et l’oméga.

Seulement cette lumière nourricière, « thérapeutique », qu’il compare aux lavages traditionnels, cette lumière qui sauve, a brusquement quitté ses toiles. A présent, c’est une froideur glacée que sa spatule applique. Il s’est passé un évènement que des tableaux plus anciens comme « Le père » (2020) et « Le garçon au grand chapeau » (2020) laissaient présager. De la même facture, du même mouvement, tête baissée, visages éteints, dans l’évidence du malaise. Le blanc est là, effectivement, mais il n’est pas de cette substance lumineuse. On voit alors toute la différence avec un peintre comme Seshie Kossi, quand il présente un animal dans l’enclos et l’apaisement du midi, ponctué d’une jarre bleue. Le monochrome ouvre ici l’espace en grand, alors que Kugbé le referme, dans un carré de finitude.
Arrivé à ce point, dans l’enfermement de la toile et de l’atelier, il arrive que la phrase-peinture soit comme un grand coup de pagaie qui vous éloigne de l’obsession. Plusieurs fois, il a dû essayer, mais la couleur ne revient qu’aux tissus: des draps, des couvertures, sous lesquels il semble se dérobe. L’environnement demeure exangue et les traits sont de cendres. « Le blanc est à la fin, disait-il, il est l’éblouissement. » Sa voix et ses toiles en sont aujourd’hui à cette extrémité. Elles se couvrent de ce blanc comme d’un linge dont on enveloppe le corps. Triste et terriblement lucide. La guérison n’est plus possible. Le monde a eu lieu et n’est plus qu’au passé.
« Peut-être d’essayer de capter ce qui organise… et qu’on ne voit pas. Le « Tout » qui est derrière cette réalité. « K. Kugbé
Une phrase revient, écrite pour son site: « Le monde est malade parce que l’Etre qui nous anime et nous unit est brimé. Il faut aimer pour le libérer et nous libérer. Il faut guérir le monde ! « , écrivait-il sur son site. Dans cette pensée louable autant que confuse, la peinture s’épuise. Elle se cogne à la vitre froide, elle tombe au sol, les ailes ouvertes, le cri muet. Inaudible désormais, dans le carré de planches brunes qui enserre son corps et sa toile. Kugbé le sait et finit par se peindre lui-même, le visage aveugle, tourné au mur ou à la terre. Son visage ou celui de la multitude, peu importe, la grimace est la même, comme il le suggère dans sa négation du singulier.

Ultime chapitre. La plaine est immense, couverte d’une neige sale et ponctuée d’oiseaux noirs. Van Gogh l’avait faite en jaune, dans un cri déchiré, qui voulait encore croire. Kugbé la figure dans cette pâleur (nordique), qui est celle de l’immense froideur. Des gens courbés attendent. Parfois la couleur est là, posée sur un dernier vêtement. Déjà, le visage n’existe plus. Dans sa grande fatigue, une vieille femme, un roi déchu, qui portent l’or et le bleu, avant leur dernier voyage. La vie s’efface, dans un écho, l’ombre d’un trait. Toile(tte) funéraire.
A cet instant, le blanc est un souffle venu des profondeurs du ciel. Une haleine glacée. Au départ, la toile est blanche. Elle est une naissance. Ici, Koffi Kugbé l’étale comme un linceul. Le mouvement a cessé. La peinture est morte, le cycle s’achève.
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RC (ZO mag’)
Photos: DR et Koffi Kugbé.
https://www.facebook.com/Kukoff-413975399 38 58 80
Contact: L’artiste présente du travail à la galerie Derrière la Porte Grenade. Tél.: 06 51 48 95 12
Repères:
Koffi Kugbé est né en 1979 , à Lomé (Togo). Il a suivi des études scientifiques, tout en s’intéressant à la littérature, puis à la philosophie (licence en 2015). Il a également débuté une formation d’architecte, interrompue par la suite.
Son passage par l’atelier de l’artiste Kossi Assou a été déterminant, de même que les conseils de sa professeur d’arts plastiques, l’artiste polonaise Zdenka Apedoh.
Jusque maintenant, deux galeries ont suivi son travail: Ros Art Gallery (Belgique), Le Patio Galerie ( Lomé ). Une collaboration avec la Porte Grenade (France) est en cours de finalisation.
Elle est folle ton écriture, elle est follement, tragiquement, belle…
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oui, merci… enfin, c’est pas le plus important.
Je te demande si tu peux me parler des petites poupées ?
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