Les photographies datent d’une dizaine d’années. Elles ont été prises en Guinée Conakry et parlent du corps, dans les rites ancestraux et les rêves qui les accompagnent. Ce sont des images croisées. Namsa Leuba est une photographe qui regarde de cette façon, la balle qui rebondit, qui va entre les instants d’ici, l’Afrique, et l’Europe où ses images grandissent et dansent, et s’installent dans de somptueux bunkers.
Elle n’appartient à aucun des deux, elle n’entre pas dans une catégorie. Son regard est sa liberté, il va et se pose où bon lui semble. Ce qui est intéressant, c’est de comprendre son mouvement. La présentation en 2011 de « Ya Kala Ben », dont elle fait l’essentiel de son site personnel, avait choqué les Guinéens. De se voir hors le cadre du sacré, n’était pas acceptable. Il y avait quelque chose de sacrilège dans le déplacement de l’image, du sens, de la couleur.
« J’ai toujours été caractérisée comme l’Autre, que je sois trop « Africaine » pour être Européenne ou trop « Européenne » pour être Africaine. Dans ce positionnement unique, je m’intéresse à la politique du regard« , dit-elle dans ses interviews, où la question de l’appartenance prélude à tous les échanges. Et on en oublierait presque la photographie est une représentation du monde, dans ce vagissement d’une nouvelle naissance, qu’elle va dans des intersections, où les limites deviennent tellement floues, que la catégorisation tient d’une chimère. D’ailleurs, c’est la photo tout entière qui est de cette matière. Ne disait-on pas qu’elle était une pâle concurrente de la peinture ? En tous cas, elle joue à l’identique, dans l’épaisseur temporelle et plastique du sujet. Leuba est photographe, elle s’intéresse aux codes. Et ce sera d’ailleurs le double propos de « Crossed Looks » qui est à la fois une monographie et une exposition à venir, en septembre, à Charleston (USA).

Depuis la fin de ses études en Suisse la photographe s’attache à bousculer cette représentation du monde. C’est un théâtre assez fantasque, à l’image de ces danseurs traditionnels, montés sur échasses, qui posent dans le ciel gris, perchés sur la plateforme sommitale d’un building. « Crossed Looks » multiplie les percussions. L’histoire récente s’y invite, et elle abonde de signaux. Elle est politique (Black Panthers), elle aborde la mode (Christian Lacroix, Dior…) et produit des panneaux d’affichage pour Netflix… Au moment de la dernière Coupe du monde (foot), elle s’occupe de la campagne Nike au Nigeria. Tout est prétexte.
Trop africaine pour s’éloigner de ce « bastringue des influences », qui régit notre quotidien. Trop européenne, ou chinoise, ou océanienne, si l’envie lui en prend. Sa dernière série s’intéresse à Tahiti. Il y a une fille, très belle, avec une fleur rouge. Quel scandale, a-t-on le droit ? c’est un Gauguin ! Non, c’est elle. Un autoportrait, dans l’image d’une femme qui traverse le monde à contresens.
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« Crossed looks », Halsey Institute of Contemporary Art à Charleston, Caroline du Sud, 27 août au 11 décembre 2021
RC (ZO mag’)
Photos: DR et Namsa Leuba
« Crossed Looks » de Namsa Leuba. Textes de Joseph Gergel, Emmanuel Iduma, Mary Trent. Editions Damiani, 176 pages. 50 euros.
http://www.damianieditore.com
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