Et si nous regardions au-dedans de nous ? Dans tout ce fatras de mots et de chair, dans ce miasme en résidence cosmique et personnel, que voit-on ? Aucun doute à avoir, pour Pierre Segoh, nous sommes les créateurs de l’enfer, constructeurs de diables et de dieux. Nous en sommes les pitoyables marionnettistes. « Cette chose m‘intéresse, parce que nous avons dessiné des dieux et au nom de ces dieux, nous faisons ce qui nous voulons. » Il a un geste plein de sous-entendus, la main tournée vers le quotidien. Parce que c’est ici qu’il prend la racine de ses tableaux. Posez-lui la question de l’inspiration ? « Dans l’actualité, dans la rue. L’inspiration, ce n’est pas une rose que tu cueilles, c’est ton travail. C’est ta recherche. Et pour moi, d’observer notre environnement .»

Au début des années 2000, le hasard a joué un rôle important dans sa décision du chemin. « A cette époque, j’ai rencontré des peintres, vraiment des gens intéressants ,et qui m’ont ouvert leur atelier. » C’est ici que la réaction quasi chimique s’est amorcée. Le reste ? Travail. Il cultive ce mot avec attention. Et une bonne dose de sens critique aussi. Une observation millimétrique du pouvoir que les puissants exercent. Amérique triomphante, nouveaux négus, marchands d’âmes, dealers d’enfer. On revient toujours à ce chaudron démoniaque. Le geste a donc du sens, et les collections l’ont compris. En 2013, il est en résidence à la Cité internationale des arts (Paris), un an plus tard à Dakar (Off), et en 2017 à l’AKAA. Mais rien qui ne le détourne de l’essentiel. De ce chaudron des vanités, et sur lequel il revient régulièrement ajouter l’ingrédient graphique.
« Cette chose m‘intéresse, parce que nous avons dessiné des dieux et au nom de ces dieux, nous faisons ce qui nous voulons. » P. Segoh

Dans l’une de ses dernières toiles, « Adoration », Pierre Segoh plante un Dieu sans pitié dans un ciel rouge comme le crépuscule des croyances. «C’est un tableau rempli de peur. Les anges ne sont pas sympas comme dans la Bible, ce sont des anges aux ailes noires, explique-il. Ce sont nos anges. » A l’image de ce roi, visage de cochon et langue de serpent, à l’image de ces politiciens, moitié machine, moitié animaux, rouages en décomposition, figuration cauchemardesque. Mais comment lui en vouloir ? Nous mettons une telle énergie à construire le chaos !

,
Roger Calmé (ABA mag’)
Photos : © Segoh Pierre Akoété
Remerciements à la galerie Polysémie (Marseille)
http://www.polysemie.com