La déviation d’un rayon lumineux, passant d’un milieu dans un autre. Définition simple de mot « réfraction ». Ou mieux encore en prenant un exemple: une brindille d’herbe, une feuille plongée dans l’eau apparait en deux segments. Une partie est à l’air et l’autre, plongée dans le liquide. « Réfraction » est le titre de la nouvelle exposition (virtuelle) proposée par Olivier Tharsis et Chrystelle Merabli (Krystel Ann Art gallery). Réfraction, parce que la perception caribéenne, n’est pas la même selon l’endroit d’où l’on vient. Une ligne sépare deux milieux et opère sur la vision une modification de la forme.
A l’origine de cette idée, Maica Gugolati et Christelle Merabli, se tournent donc vers trois plasticiens et peintres insulaires. Chacun porte une lumière, une forme, un souvenir récurrent de ces îles caraïbes dans leur confrontation répétée à l’Occident, à la fois temporelle (passé et présent) et artistique. Quelle voix est la nôtre en somme? Quelle est notre identité propre dans ce bouillonnement de l’eau et du ciel? Françoise Semiramoth (dont une œuvre vient d’être acquise par le MACMA, Martinique) réfléchit depuis pas mal d’années à cette confluence. Ses peintures revisitent le Caravage et l’invite à la question essentielle de la couleur. Dialogue du temps, de la morale sans doute et de la vie « sauvage », au travers d’un petit lézard.

Dans son travail de curatrice, Maica Gugolati voulait introduire ce rapport à la nature première. Ce cadre précède la partition humaine. Il est synonyme de liberté retrouvée. La nature commence ici, de l’autre côté de la surface. Réfraction encore, qui révèle l’humain, dans sa quête et dans sa peur. « Les œuvres de ces artistes créent une vision transcendée des relations entre l’homme et la nature et entre le monde visible et invisible qui existent en chacun de nous« , explique-t-elle en soulevant justement cette question adjacente. La nature antillaise, bourdonnante de lumière et d’ancêtres, lieu magique, ressemble-t-elle à celle que l’Occident suggère, remplie d’ombres, à l’image du Caravage dans ce clair obscur si souvent menaçant.
Ainsi se construit donc cette remarquable juxtaposition des avis. Effectivement, l’île caraïbe ne suggère pas seulement la lumière, mais dans l’épaisseur, la succession des couches. L’image du volcan n’est jamais loin, qui enterre et recouvre, ce que Christophe Mert met au jour, par la récupération, par le collage et le dé-collage, la lacération d’une surface écrite ou peinte… C’est une immersion temporelle, mais pas seulement, qui évoque aussi le pouvoir et les mots qui organisent celui-ci. Il y a un constat de violence permanent, inscrit dans l’histoire non dite, dans le silence de ses visages et des murs, lacérés, émiettés, porteurs d’anciennes affiches.
Et puis la lumière revient. C’est celle d’une rue en fin de journée. Une lumière mélancolique et voilée, qui est aussi une intersection de clarté. Laeticia Barreto marche et porte une histoire dans son dos. Une histoire d’enfance. Les visages et les corps sont des ombres blanches, posées sur des tissages ou des papiers peints. Les mains ne sont pas noires, les yeux non plus, l’enfant dort doucement, bercé par le mouvement de cette marche. Demain, il va se dessiner son visage, des gestes, une histoire… La place est prête. Il lui suffira de tremper ses pinceaux, d’étaler sa couleur.
,
« Refraction », Laeticia Barreto, Christophe Mert et Françoise Semiramoth, Galerie Krystel Ann Art, jusqu’au 10 septembre 2021 (online) https://artspaces.kunstmatrix.com/en/exhibition/5222254/refraction https://www.krystelannart.com/
RC (ZO mag)
Photos: by courtesy Krystel Ann Art Gallery
Merci pour ce bel article
J’aimeJ’aime