L’expression n’est plus tellement utilisée. Qui parle encore de l’examen de conscience ? Et pourtant, c’est un exercice assez radical. A un moment, vous garez votre bagnole, le long d’une immense falaise et vous regardez le paysage. C’est toute une vie. Ou bien toute une période de celle-ci, que vous avez devant les yeux. Les questions sont là. Il y a tellement longtemps que vous vous les posez. Les questions sont des oiseaux qui volent dans le vent.

De nombreuses fois dans sa vie, Ada Udechukwu s’est arrêtée ainsi. Son itinéraire est dans ce mouvement, de s’interrompre et de repartir. Forcément les lieux et les situations lui posent des questions et c’est à cela que son travail de peintre, de poète, et ses tableaux textiles tentent de répondre. Elle le dit ainsi : « Pendant la plus grande partie de ma vie, j’ai lutté contre les frontières internes et externes, en voyageant à la recherche d’un espace qui m’échappait continuellement. Un espace où je pourrais être libre des signaux souvent déroutants et contradictoires auxquels une personne bi-raciale est confrontée. Il m’a fallu du temps pour me rendre compte que l’endroit que je cherchais se trouve à l’intérieur… »
En installant sa dernière exposition à Lagos (SMO Contemporary art), elle entretient cette permanence du lien poétique. C’est en 1979, que le tissage a commencé, alors que la jeune femme est étudiante à Nsukka, université du Nigéria. Comme d’autres artistes de cette époque, Ada a utilisé le dessin pour commentaire et critique de la condition postcoloniale nigériane. Sans cesse, l’aquarelle et la peinture s’associent à son écriture, pour en préciser le mot dans sa longueur.
Il m’a fallu du temps pour me rendre compte que l’endroit que je cherchais se trouve à l’intérieur… » Ada Udechukwu
Il est intéressant de voir, qu’au moment où elle achève une maîtrise en beaux-arts, sa nouvelle « Night bus » a été présélectionnée pour le prestigieux prix Caine. « Night bus » qui est aussi un titre prémonitoire puisqu’elle s’apprêtait alors à vivre aux États-Unis. D’abord sur la côte est, avant de gagner quelques années plus tard la Californie, où elle réside encore. Le Nigeria ne s’éloigne pas, il prend une couleur diasporique. Il s’interroge différemment.
« Particles in Motion » évoque donc ce déplacement des éclairages. D’avoir grandi dans les collines vallonnées d’Enugu et de Nsukkadi, puis de s’installer à Los Angeles, puis de revenir à Lagos vont moduler une langue de plus en plus introspective. Ce que remarque Chika Okeke-Agulu, professeur d’art à Princeton : » Udechukwu est une femme très réfléchie, et qui remet sans cesse en question ses relations avec ses mondes intérieur et extérieur. Entre ses mains, l’art (et la poésie) sont des outils d’autoanalyse et d’énonciation facilement disponibles et efficaces. » Des formes rondes, cellulaires et apaisées traversent les lieux. La couleur n’impose rien qu’une suggestion possible. Tout simplement d’interroger ce positionnement entre soi-même et ce qui nous entoure. En somme de ne pas succomber à l’illusion, mais de la créer en permanence, comme une alternative lucide à la compréhension de nos vies.

L’émotion est au cœur de son examen de la mémoire et de la conscience. Ce n’est pas une émotion autarcique, tournée sur elle-même, mais une émotion miroir, qui place le monde dans une perspective ressentie et raisonnée. Alors que la planète prend un malin plaisir à construire de nouvelles appartenances et limiter la fluidité, « Particles in motion » restitue l’ondulation nécessaire. Ses tableaux sont donc à regarder de très près. Un instant, on songe à un paysage cellulaire. Puis en observant avec attention, des mains tendues apparaissent. Des complicités se nouent. Lors d’une conversation avec Sandra Mbanefo Obiago, commissaire de l’exposition, l’artiste disait que « partout où elle avait été installée, elle retablit la connexion avec la cause de l’humanité. » Les frontières externes et internes n’existent plus. Le lieu est en nous.
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« Particles in Motion » d’Ada Udechukwu. Galerie SMO Contemporary, Lagos (Nigéria).
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: Ada Udechukwu et by courtesy SMO Contemporary https://smocontemporaryart.com/exhibitions/
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