Quelque chose a changé. Emma Prempeh ne pose plus ses tableaux à la la même place. En l’espace d’une série, l’impression est celle d’une plus grande proximité. Cette femme, assise sur le parquet, qui vous regarde, ce type qui boit son vin sous une plante verte… C’est là, dans la même pièce qu’elle et vous. Jusqu’ici, la peintre ghanéenne a beaucoup réfléchi sur la place de ses personnages dans leur époque. Le temps que nous traversons suggère nombre de questions. A commencer par celles liées à nos origines. Nous n’appartenons pas tous à la même mémoire, selon nos générations, selon nos lieux de résidence… Comme de nombreux autres peintres d’Afrique anglophone, elle s’est servie de la famille comme d’une figuration des codes en vigueur, de l’attitude, de la mémoire entretenue. Elle le dit elle-même: « Ma passion découle de la pensée existentielle, de mon besoin de comprendre mes propres libertés par rapport à la mémoire et au temps. » Une approche essentiellement intellectuelle, ou du moins distanciée.

Quand on l’interrogeait, en décembre 2020, au moment de son exposition « Faces of love », elle le disait ainsi: « j’ai voulu peindre des choses plus personnelles« . Cette phrase qui peut paraître banale, recouvre l’exacte vérité. Ou plutôt, l’accès au sujet choisi se ferait par un chemin plus intime que théorique. Après tout, c’est un peu le temps qui veut ça. Le rapprochement nécessaire, le besoin d’intimité physique.
Les « visages de l’amour » apparaissent alors comme des tableaux essentiels, rassemblés sur eux-mêmes. Ils semblent sortis d’un film en super 8 (eh oui!), d’une vidéo en état avancé. Ce sont des éléments de notre album familial. « J’ai pensé, pourquoi ne pas simplement peindre ce que je ressens, au lieu d’y penser d’une manière impersonnelle, ou qui ne fait pas partie de moi. » La distance est abolie.

De cette manière, elle épingle des instants (fragiles), comme ce rayon de soleil qui tombe sur le noir d’un vinyle. Sans s’apitoyer, elle regarde sa mère traverser la toile. C’est une femme dont le visage s’efface dans la pénombre. C’est une silhouette dont on se demande si elle est encore tout à fait présente. Littéraire ? « Enfant, dit-elle, je voulais être archéologue. J’adorais la philosophie. Et puis je me suis tournée vers la peinture et je me suis rendue compte que je pouvais parler de tout ça. »
« Pourquoi ne pas simplement peindre ce que je ressens, au lieu d’y penser d’une manière impersonnelle, ou qui ne fait pas partie de moi. »
L’archéologie lui plaisait pour cette raison. Le temps est une boîte aux entrées multiples. On peut y trouver des éléments plus ou moins visibles. C’est une science évidemment, mais il est fort possible que ce soit aussi une porte vers autre chose. De la même façon, elle aime jouer avec les lumières « sombres ». Jamais le noir ne la met dans une angoisse ou un inconfort. Et d’en référer à la peinture de Rembrandt qui ouvre en permanence d’autres espaces, d’autres possibilités.


Si elle examine avec une telle attention le temps qui passe, qu’il soit objectif ou plus intime, Emma poursuit un seul but qui est celui de l’exactitude et de la vraisemblance historique. En introduisant cette intimité au sujet, elle s’en rapproche au plus près. La vérité de l’instant. Il se peut qu’elle l’atteigne. Il se peut aussi qu’il glisse entre ses doigts. Emma Prempeh parle souvent de sa difficulté à « terminer » la toile. A une journaliste qui lui demande son tableau favori, dans cette série « les visages de l’amour », elle montre l’homme, sous la lumière dorée, qui boit. Le tableau s’appelle « L’oubli ».
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Emma Prempeh figure parmi les 16 artistes de l’exposition « Mother of Manking » (Mère de l’humanité), jusqu’au 31 août, à la Hofa gallery (Mayfair Londres).
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: by courtesy Hofa Gallery, Londres.
Repères
Emma Prempeh (née en 1996)a étudié les beaux-arts à l’Université Goldsmiths (Londres) et obtenu en 2019 son diplôme. Elle termine actuellement une maîtrise en peinture au Royal College of Art. En 2019, elle a décroché le prix Ingram Young Contemporary Talent Purchase prize et été présélectionnée pour les Bloomberg New Contemporaries.
Expositions personnelles:
2021: Galerie ADA, Accra (Ghana)
2020: Raise your glass, Ingram Prize, la Lightbox, Woking.
The face of love, VO Curation, exposition pos résidence.
Expositions collectives (dernières):
2021: Mother of Mankind, Galery Hofa, Londres (GB).
Heart of the matter (online), Gillian Jason.
Wip show (online) Collège of art)
2020: En avant et en haut dans le jardin de la vie, galerie Droog, Amsterdam (P-B).
Rétablir l’équilbre, La Lightbox, Woking.
Bloomberg New Contemporaries, South London Gallery.
2019: Young Contemporary talent purchase Prize, Cello Factory, Londres.
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