Un jour, la maladie prend possession du corps et de l’espace qui entoure celui-ci. Plus rien n’est semblable avec la situation antérieure. Les comportements changent, les lieux ont d’autres couleurs et les couloirs deviennent des galeries de souffrance. Contre les murs, s’alignent les corps dans l’attente. La maladie cultive en abondance cet état, elle impose aussi l’immobilité, la résignation, le silence, l’espoir, la prière, et d’autres sentiments complexes, comme celui de la perte de l’identité. Le malade n’est plus vraiment un humain, il devient un cas, un objet d’attention, un lieu d’expérimentation parfois.

Pour l’avoir connu de longues années, Tonia Nneji pense aussi que la verbalisation et la figuration peuvent aider à en endurer les mécanismes. Comme elle le dirait avec des mots, l’artiste nigériane met cet état en couleurs excessives. C’est sa façon de conjurer le cri qui lui déchire le ventre et d’empêcher le silence qui enferme un peu plus encore.
Les images que je peins sont planifiées et exactes. Rien n’est imaginé ou accidentel. Tonia Nneji
Cette importance donnée à l’empathie, cette attention humaine permanente, sont des éléments essentiels dans la peinture de la jeune Nigériane. Si l’on regarde attentivement ces toiles, elles figurent en de nombreuses situations, le soutien que l’on apporte. Une femme tient sa proche dans ses bras. Ses mains sont posées sur son front. Parfois le corps est nu, et rappelle la position du Christ, au sortir du Tombeau. Un corps maigre et supplicié. Dans cette souffrance quotidienne, qui s’étend sur des années, Tonia ne fait que peindre l’urgence de l’affection.
« J’ai vraiment tout mis à nu. Je ne crois pas qu’il faille cacher quoi que ce soit », explique-t-elle dans l’explication de son travail, mais aussi dans les groupes de discussion qu’elle anime sur le Net, au travers des Forums auxquels elle participe. « Nous vivons dans une société qui est très influencée par la croyance. La maladie n’est pas seulement une affection physique. On y attache des raisons magiques, et la femme, dans ce type d’affection, est souvent jugée responsable de son mal. » C’est ici que la peinture de Nneji prend sa dimension sociale. La maladie est un terrain privilégié où elle devient une victime désignée au harcèlement, au déni d’existence, à la privation des droits élémentaires, voire même aux agressions sexuelles. Ne rien cacher. Se soutenir les unes les autres.
Le tissu qui apparait sur la quasi-totalité de ses toiles, participe à cette protection. Il offre à la malade, un espace de sécurité, de repli tranquille, une douceur que le monde lui refuse. Il est au contraire de la violence et de la honte, le prolongement d’un geste communautaire. Les peintures de Nneji parlent des femmes, d’une « maladie de femmes » et d’un soutien au féminin qui refuse la souffrance et la solitude. « Les images que je peins sont planifiées et exactes. Rien n’est imaginé ou accidentel. » Le tissu est la couleur et la lumière qui reviennent.
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Tonia Nneji sera exposée par la galerie Chauvy, à l’occasion d’Art Paris 2021 ( 8-12 septembre). Grand Palais Éphémère.
RC (ZO mag’)
Photos DR and by courtesy Marion Chauvy
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