Nigeria / Plasticienne / Victoria-Idongesit  Udondian CE MONDE EST LE SIEN

Nous ne sommes certains de rien. Jamais. Est-ce bien une vie que nous vivons, ou cette existence n’est-elle qu’une illusion, un spot publicitaire, un film cousu de fil blanc ? Justement, c’est de cela que parle Victoria Udondian dans ses installations, à voir comme des représentations plausibles de la réalité. 

Tout est bien là: l’exposition, les oeuvres, l’intention est écrite, noire sur blanc, mais à un moment le récit part dans une autre direction. Aux murs, ce ne sont plus ses oeuvres qui sont visibles, mais celles d’autres peintres, des amis, des connaissances… A l’entrée, des gens vous posent des questions sur votre identité et vos loisirs, puis  ils vous refusent l’entrée. Leur main vous barre l’accès, leur visage se ferme. Vous en venez à cette conclusion que vous vous êtes trompé de monde.  Vous n’êtes plus ce couple qui habitait cette ville, cette femme employée à la mairie; vous êtes désormais des étrangers, des populations en transit, des réfugiés économiques. Et les vêtements que vous portez le confirment. Ce n’est pas de cette manière que nous nous habillons à Lagos. Lagos ?

« Les vêtements de seconde main avec lesquels je travaille, ont parcouru le monde de l’Occident au Sud global. (….) « 

Le textile tient ici, une fois encore, la place centrale dans ce scénario de fiction. N’est-il pas la pièce principale du déguisement, de l’uniforme, comme son nom le dit, de l’unique manière de se présenter. Dans cette quête identitaire, Victoria-Idongist consacre un temps important à la collecte des matériaux. Les raisons sont multiples. D’une part, le Nigéria est inondé de produits textiles occidentaux qui influent sur ses habitudes et sur l’économie locale. « Les vêtements de seconde main avec lesquels je travaille, ont parcouru le monde de l’Occident au Sud global. Ils transportent les histoires personnelles et sociales des personnes impliquées dans cette économie. Et maintenant ces histoires se compliquent lorsque d’autres acquièrent les vêtements et les portent, » explique-t-elle en octobre 2020 lors d’une résidence organisée par la Shepard Broad Foundation (USA). Il ne s’agit pas vraiment de déguisements, mais plus profondément d’une modification de l’image et du comportement qui l’accompagne. L’individu acquiert en somme une sorte d’hybridité misérable. Installé dans le siège d’un avion déglingué, en route pour nulle part. 

« Mon travail est motivé par mon intérêt pour le potentiel des vêtements à façonner l’identité, éclairé par les histoires et les significations tacites intégrées dans les matériaux de tous les jours, »

… poursuit-elle. De la même façon, elle récupère la toile de jute, le papier, les sacs en plastique et autres matériaux usagés pour construire des éléments sculpturaux, qui peuvent atteindre de grandes dimensions et remplir des pièces entières.Les vêtements hybrides qui naissent de ces amalgames culturels poursuivent alors un très probable récit. Parce que notre réalité est bien à cette image. Il a suffi à l’artiste nigériane de changer l’optique. Un objectif grossissant qui peut figer des mouvements de masse, ou au contraire montrer le développement quasi cancéreux de nos cellules affectives.

« (…) Et maintenant ces histoires se compliquent lorsque d’autres acquièrent les vêtements et les portent. » Victoria-Idongesit  Udondian

Ces dernières années, la jeune femme (née en 1982) a multiplié les expositions, tant au Nigeria, aux Etats-Unis et en Europe. En 2015, elle était l’une des artistes représentant le Nigeria, lors de la 56ème biennale de Venise. Sa réflexion sur le textile, l’inscription à la fois culturelle et économique qu’il impose, trouve dans ce travail une expression inédite. Les stratégies qu’elle met en place amènent immanquablement le visiteur à s’interroger sur sa place et celle des objets qui l’entourent. Parce que l’identité est tout entière dans cette question, telle que que la culture yoruba le pose depuis des siècles. L’élégance n’est pas seulement une attitude consumériste, mais une affirmation identitaire et le fondement d’une réelle fierté. Deux de ses projets à venir iront dans ce sens. 

Les instants du départ, les entassements liés à l’exil, le déplacement intérieur et extérieur, les vols domestiques.

Le plus important sans doute se nomme Àdápé. On peut le traduire par  » créer la perfection ». Je pense à la mise en place d’un espace idéal dans lequel les populations immigrées peuvent intervenir. » L’oeuvre ne relève plus d’un constat historique, mais d’une affirmation au temps à venir. Udondian note que ans «  le climat glacial d’intolérance et de rejet« , il y a des réflexions à mener sur la migration et l’apport aux sociétés qu’elle traverse. La fierté qui en résulte trouve encore dans le textile une expression ancienne. Un autre artiste nigérian, Wole Lagunju, l’exprime de la même façon en citant le principe d‘ewa, qui est le concept de beauté, la certitude d’être soi, dans un monde qui est le nôtre. Non plus des citoyens de seconde main et de seconde zone, assemblés à partir de matériaux récupérés.

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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et V. Undondian
http://victoriaudondian.com/

A l’occasion de sa résidence entre New York et Lagos: https://www.fountainheadresidency.com/artists/2018/9/10/victoria-idongesit-udondian

Contact: https://www.facebook.com/vudondian
Repères:
Né en 1982 au Nigeria. Vit et travaille au Nigeria.
MFA, Sculpture and New Genres, Columbia, New York (USA).
Skowhegan School of Painting and Sculpture, Skowhegan, Maine, (USA).
Beaux-Arts (Peinture), Université d’Uyo, Akwa Ibom State (Nigeria)

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A reçu en 2020 une bourse Guggenheim.
Recompensée par le Guggenheim Fellow (USA), le Pollock Krasner Grant Award (New York) et un prix au Concours national des arts, Lagos (Nigeria).
Nombreuses expositions depuis 2016:
Fisher Landau Centre for the Arts (New York)
Children Museum of Manhattan (New York°
Musée national, Lagos (Nigeria)
Whitworth Gallery, Mancheste (GB), etc…
Résidences d’artistes
Instituto Sacatar, Bahia (Brésil)
Mass Moca, Massachusetts (USA)
Fine Arts Work Centre (FAWC), Provincetown (USA)
Fondazione di Venezia, Venice (Italie)
Bag Factory Studios, Johannesburg (Afrique du sud).

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