Dans un espace vide, blanc, d’une neutralité relative, des chariots de supermarché sont installés. Les murs sont nus, mais les caddies remplis de couleurs et de mots possibles. Il s’agit d’éléments disparates, plastiques, certains luminescents, de tissus, de tressages, de capsules… Les chariots sont pleins et de cette manière, la plasticienne Theda Sandiford peut raconter notre histoire. Un caddy contient beaucoup de choses disparates qui nous traduisent au regard du monde. Si vous jetez un oeil dans celui de votre voisine de caisse, vous saurez à quoi va ressembler sa soirée, si elle vit seule, si son chien est de grande taille, si elle se teint les cheveux et si son mari aime la bière hollandaise.


Le travail de Theda Sandiford commence ainsi par une énumération d’objets. Ils sont colorés, ils sont tressés, découpés dans des matériaux comme le plastique marron. Parfois, elle utilise la peinture fluo. Certains contenus rappellent des canalisations (!) médicales, parce que nous sommes en époque de pandémie et que la mort rôde dans les couloirs. Bref, Theda pose ces évènements dans son caddy et nous confie aussi ce que la vie d’une femme noire dans Brooklyn peut avoir de contraignant, d’agressif, de quasiment obligatoire et sacrément pesant.
De se tresser, de s’attacher, dans une soumission permanente au code, garantit une identité acceptable.
On pourrait donc se poser la question de savoir si nous ne sommes pas… le chariot lui-même. Consommateurs d’objets, mais aussi de clichés, à l’image des portraits qu’elle a réalisé ces dernières années. Ces collages figuraient de belles filles noires, dans des assemblages assez maladifs de bouches et de motifs violets ou roses, très proches de l’univers de Barbie et de son pote Ken. La beauté tenait d’un enjeu sociétal, d’une position obligée. De se tresser, de s’attacher, dans une soumission permanente au code, garantissait l’identité acceptable.

Cette fois, Theda va plus loin encore. Elle étend à toute la société le constat d’aliénation. Qu’il s’agisse d’une population féminine issue de la middle class américaine ou d’une employée de bureau nord-américaine d’origine autrichienne, la même globalisation est à l’oeuvre.
Finalement, la « vérité » est celle que nous affichons, consommons, enseignons à notre progéniture. La certitude historique, nous la portons sur nous-mêmes. Nous habitons dedans. Autour de nous, les objets portent des noms de marque, ou témoignent du dernier évènement planétaire. Il s’agit d’un virus par exemple, ou de la victoire à une compétition de football. Le chariot se remplit ainsi. Et notre tête aussi!
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« Caché à la vue de tous », jusqu’au 23 août, Museum of Contemporary African Diasporan Art (MoCADA), Brooklyn, New York
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos DR et by courtesy MoCADA
https://mocada.org/
Repères:
Expositions individuelles
2021: Hiding in Plain Sight, Museum of Contemporary African Diaspora Arts (MoCADA), Brooklyn (USA).
2020: Wonder Women Solo Show, Bridge Art Gallery, Bayonne (USA).
2019: Big Mouth Solo Show, Art House Productions, Jersey City (USA).
« Women of Wonder » One River, Milburn New Jersey.
« Big Mouth » Paradigm Entertainment, New York.
2018: Installation d’identité fragmentée, espace privé, Jersey City.
Stair-Gazing: Theda Sandiford, Curated by Mary Birmingham au Visual Arts Center of New Jersey.
Women of Wonder: Theda Solo Show au LITM Jersey City.
bien vu!
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