Elle est un lieu de rencontre. Une surface qui nait du dedans et vient à l’immensité. L’écorce est une histoire entre l’arbre et celui qui appartient au loin. Deux moments se regardent et l’homme lit l’écorce, comme il lirait une carte où est écrit un autre temps. Sheila Nakitende construit de la même manière ses tableaux d’écorces et de papier. Elle les fait comme des « passeports » qui disent le mouvement de l’homme et celui de l’arbre, dans le croisement de leurs mots particuliers. La plasticienne ougandaise prononce le temps qui file le long d’une piste, dans le vent et le soleil qui inondent. Dans le chant qui monte du ventre de l’arbre, elle prolonge l’histoire.

Les gestes de l’artiste renseignent sur ce voyage dans la mémoire. De la même manière que les peuples batanga ont pu transformer l’écorce du raphia, la fibre de banane, ou la peau du lubugo, elle broie, elle tisse, elle mélange aux pigments et aux agents dissolvants. Ce qui était une écorce, redevient une pâte originelle. De cette matière, on pourrait faire une couverture, un habit, le support d’une histoire ou un tableau. « Retravailler les techniques traditionnelles telles que le tissage et la couture peut être l’incarnation de la survie humaine, de la méditation et de la guérison en ces temps de transformation rapide », écrit Violet Natume, qui présente régulièrement son travail à la galerie Under Ground.
La politique imaginaire du futur. Utopique, voilà qui sera comme un programme de narration et de responsabilité.
A lui seul, le nom renseigne sur leurs affinités respectives. Ce lieu de Kampala multiplie les pistes convergentes entre l’art contemporain et ses profondes attaches à la culture locale. Comme le dit Violet, rendre audible, un espace, une mémoire et une volonté « longtemps définis et documentés par les conservateurs, les critiques, les missionnaires et les touristes européens. » UnderGround est un endroit solaire, forcément atypique, et ce travail de Sheila Nakitende y trouve une place logique, dans l’esprit comme dans la matière.
Quand elle regarde le travail de Sheila Nakitende, la sculpteure Dorothea Nold écrit: » Quand je regarde ces œuvres encore et encore, j’ai l’impression de regarder quelqu’un que vous aimez et de découvrir à chaque fois une nouvelle chose merveilleuse. Et de voir leur beauté, leur intensité, leur douleur et leurs difficultés. » Cet aspect de la relation, de l’échange des signes, et la possibilité de réécrire à la fois l’espace et le temps qui coule au milieu, donne à ce travail une temporalité poétique et politique aussi. La politique imaginaire du futur. Utopique, voilà qui sera comme un programme de narration et de responsabilité. Utopie du temps retrouvé et inscrit dans la grande diagonale.
Quand elle évoque le mutuba (Ficus natal), Sheila le situe donc dans cette histoire ancienne. L’artisanat est connu depuis de 600 ans. Les Batangas ont constaté que son écorce se régénérait et pouvait être récoltée pendant plus de 40 ans. Chaque arbre peut ainsi fournir jusqu’à 200 m² de tissus. Mais l’arbre est aussi très bénéfique au sol, dont il régénère les capacités et permet une agriculture durable. Dans son travail, outre l’utilisation plasticienne, l’artiste fabrique aussi différentes qualités de papiers. Certaines d’entre eux peuvent être utilisées dans les imprimantes modernes. Le langage continue son long voyage.
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RC (ZO mag’)
Photos: Sheila Nakitende
Infos: https://www.facebook.com/UnderGroundGalleryUganda/