Ghana / Plasticien / Patrick Tagoe-Turkson / EPHEMERES

Il y a la mer d’un côté et de l’autre la terre. Une immensité et une finitude. Et entre les deux, se trouve la plage. Elle est la transition, une forme aboutie et métisse d’éléments, qui empruntent à l’une et à l’autre leur caractère. La plage pose la limite et ouvre en même temps l’infini. Pour tout dire, on peut y jouer au foot, écouter David Guetta et y faire de l’art conceptuel, sans qu’aucune de ses expressions soit déplacée. La plage est une forme de liberté absolue.


Si Patrick Tagoe-Turkson s’est intéressé il y a dix ans à cet espace maritime, les raisons étaient de cette nature plurielle. Mais une idée prévalait tout de même: celle d’inscrire un corps ou une forme dans un environnement naturel, en n’utilisant que des gestes « propres », respectueux du cadre dans lesquels ils intervenaient. Il insiste sur ce point: la création de ses dessins participe d’un dialogue avec la nature, d’un jeu qu’ils conduisent ensemble, de la même façon qu’il a pu le faire plus jeune, dans ces mêmes endroits.
Les compositions sont construites dans le même esprit que le land art (Earthwork) des années 60. Une création libre, dégagée des contraintes du marché, vouées à disparaître, et d’un impact écologique quasiment nul.

Patrick Tagoe-Turkson se distingue aussi par la modestie de ses interventions. Au contraire des grandes réalisations américaines que conduisent Heizer, Walter de Maria ou Christo, l’artiste ghanéen privilégie une échelle modeste. Quelques gestes suffisent à aboutir. On peut alors, dans ce souci d’intimité, le rapprocher d’Andy Goldworthy. De la même manière, l’artiste américain considère l’aspect éphémère comme un dialogue possible avec l’élément naturel. De la même façon, travaille Nils Udo depuis les années 70. Une journée passe, parfois une saison, et l’objet, aussi splendide soit-il, disparaît, sans laisser d’autre trace qu’une image photographique.

« Parfois, de la même manière, je vais lier mon corps et de ne faire plus qu’un avec le naturel. » Patrick Tagoe-Turkson


Cette conversation avec l’environnement est permanente à toutes les époques du travail. « Je dessine avec mes doigts, des bâtons et des objets flottants que je cueille sur les rives. Les lignes tracées dans le sable me permettent de connecter et de déconnecter les objets. Parfois, de la même manière, je vais lier mon corps et de ne faire plus qu’un avec le naturel, » explique-t-il. Il montre alors dans une conque minérale, un homme, qui paraît de la même matière, au fond d’une cavité creusée par les flots. Minéral lui aussi, d’une essence similaire. Né de la mer, revenu à elle et recueilli par celle-ci, dans un ventre de pierre et de couleur.


La liberté est à la pulsation de son travail. Si les artistes américains ont d’abord poussé cette expérience du land art pour se libérer de la marchandisation, nombre d’entre eux parlent de la liberté retrouvée. La nature leur permet aussi d’échapper aux contraintes de l’atelier. Nils Udo a cette phrase pour évoquer l’insatiable inspiration que cela lui offre:  » Mon regard peut se poser n’importe où. Partout où je regarde, je pourrais entreprendre un travail. Souvent je lève d’abord les yeux vers le haut. Le long des troncs d’arbres, dans les branchages, vers le ciel. Si ce n’était pas si compliqué d’un point de vue technique, je travaillerais volontiers à la cime des arbres… » Patrick Tagoe-Turkson retrouve cette même pulsation, et qui aussi celle de l’enfance, dans une création débarrassée des contraintes, tout acquise au rêve. Au sommet des arbres, dans la proximité des nuages.

Si ce n’était pas si compliqué d’un point de vue technique, je travaillerais volontiers à la cime des arbres… (Nils Udo)


Et puis il y a cette notion absolue de l’éphémère. Parce que c’est de ça que l’oeuvre se nourrit. Le vent qui souffle, la vague qui recouvre, comme sous d’autres latitudes, la neige, la glace, elles aussi soumises à une saison. L’acceptation de ce temps. « Souvent la marée efface le dessin au moment où je le trouve le plus intéressant. C’est une émotion mixte que l’on retrouve aussi dans notre relation aux autres… et que j’ai appris à contrôler par dessin avec la marée. Ce trait dans la nature, continue de résonner bien après la disparition de l’oeuvre physique. » conclut-il.


La plage est un espace libre. Elle ne pose aucune frontière que celle que l’homme inflige. Elle est un accès, dans l’immense qui commence sur ce sable clair.

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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et Patrick Tagoe-Turkson
Contact: https://www.facebook.com/patrick.tagoeturkson

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