Sénégal / Dessins et peintures / Alioune Diagne, un tableau…  » LA MEMOIRE JUSTE »

De dire (et de peindre) les choses telles qu’elles ont été. Juste d’énoncer les faits et de remettre des noms. En matière d’histoire, c’est un exercice difficile. Le tableau est toujours trop étroit. Le temps manque. Les documents ont été égarés. Il faudra repasser un peu plus tard. Ce délai supplémentaire que l’on oppose à toutes les requêtes. Il faudra repasser! Le bureau est fermé.

A la fin de novembre 1944, plus de 1 600 soldats africains originaires des territoires de l’Afrique Occidentale sont regroupés dans le camp de Thiaroye, à une quinzaine de kilomètres du centre de Dakar. La démobilisation annoncée en France pose depuis plusieurs semaines la question du règlement d’un pécule, constitué de leurs arriérés de solde, de la prime de démobilisation et la récupération de leurs économies, sur des livrets d’épargne du Frontstalag. Cette opération n’a cessé d’être retardée. Le ministère discute les sommes. Il souhaite les revoir à la baisse et se débarrasser au plus vite du problème.

Depuis 2018, Alioune poursuit une série de peintures et dessins sur le visage de ces tirailleurs sénégalais. Ils sont du Bénin, du Sénégal, du Mali, et d’Afrique centrale. Le plus souvent des fils de paysans, des sans-grade, des modestes, qui n’ont d’autre prétention que de rentrer chez eux et de profiter de cet argent chèrement acquis. Diagne les peint comme ils sont, dans la justesse de leur visage, qui rient fort et font la grimace. Nous sommes la veille du 1er décembre. Le commandant n’arrête pas de tergiverser. Ses propositions finissent par être agaçantes. Dans son film « Camp de Thiaroye » (1988), Ousmane Sembène évoque les taux de change notamment et le refus d’envisager le remboursement de l’épargne.

A l’image de ceux que la France a envoyé en première ligne dans les charniers de la Somme et Verdun. Visages épais, regards remplis de confiance.

Le 1er décembre, le ton est monté d’un cran. En visite au camp, le général Dagnan se dit outré. En accord avec son supérieur, le général de Boisboissel, il est partisan de faire un exemple.

Alioune Diagne ne peint pas le massacre qui va suivre, mais l’humanité de ceux qui vont tomber. Ce sont des « bons nègres », à l’image de ceux que la France a envoyé en première ligne dans les charniers de la Somme et Verdun. Des visages épais, des regards remplis de confiance. Des Noirs comme sur la réclame publicitaire. Il les peint dans la justesse de leurs traits colonisés, au moment où le crépitement des mitrailleuses couche les premières victimes.

« que l’on reconnaisse officiellement le massacre et « la part d’ombre de notre histoire (…) » François Hollande

Il faudra attendre octobre 2012 et la visite de François Hollande à Dakar pour que l’on « reconnaisse officiellement le massacre et « la part d’ombre de notre histoire, (…) la répression sanglante qui en 1944 au camp de Thiaroye provoqua la mort de 35 soldats africains qui s’étaient pourtant battus pour la France. » 

Dans un article qu’il consacre à Alioune Diagne, l’historien Jean-François Leguil-Bayart évoque ce travail comme une « mémoire juste des tirailleurs« . Il évoque « une présence critique du passé, épurée de toute rancœur, de toute haine, de toute colère, mais qui rappelle ce qui a été et n’aurait pas dû être.  » Il s’agit du visage d’un homme, un type qui a donné cinq ans de sa vie, qui voudrait bien rentrer au village et acheter un peu de bétail. Il le dit.

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RC (ZO mag’)
Photos: DR, A. Diagne et OH Gallery.
Frères d’âme, du 22 Mai au 15 Juillet 2021, avec Sambou Diouf,
Galerie Le Manège, 3-5 rue Parchappe, Dakar Plateau.

LUNE DIAGNE — OH GALLERY

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