Côte d’Ivoire / Sculptures / Ange Sylvain Adou / CE CHEMIN CONDUIT A UNE RIVIERE

Divers chemins sont tracés qui mènent à la peinture, à l’atelier où elle se fait et aux sources qui la nourrissent. La peinture est à un bout de la rivière. Peu importe qu’elle soit à la source ou à l’embouchure. Il existe juste un fil qui relie. Il est fait d’eau, d’ombre, il est construit en déplacement d’air, en époques temporelles. Il est une rivière. Le travail d’Ange Sylvain Adou est posé sur cette berge, faite d’écorces, d’argile, de lianes et de chants.

Le peintre ivoirien ne parle pas volontiers de sa peinture. En tout cas, il n’utilise pas d’anecdotes qui situent l’instant et le justifie. Il dit plus simplement qu’il a suivi des études religieuses et qu’un jour il a entrepris d’apprendre les arts. On peut alors penser que les deux ont un langage commun. Ce qui est le cas. Mais de cela non plus il ne parle pas. La peinture, comme le travail de la poterie ou encore ses peintures sur écorce, participent d’une action d’humanité. De la même façon qu’il rend grâce à son Dieu, Sylvain Adou remercie l’humain d’être dans une volonté, un courage, une reconnaissance. Des chants montent au travers de son travail. Les peintures sont comme des fenêtres ouvertes qui donnent sur l’immense Jardin. Celui-ci existe. On doit tout de même lui mettre une majuscule. Parce qu’il tient d’un message spirituel.

Il y a quelques mois, le plasticien dépose sur les réseaux sociaux d’étonnantes peintures, d’une facture naïve, mais dont la réalisation témoigne d’une bienveillance permanente. Des femmes reviennent d’une plantation. Elles portent des jarres sur leurs têtes. L’écorce est tout entière dans le bourdonnement de l’air bleu. Il rappelle l’appartenance à cet univers qui commence au bout de nos doigts et de nos yeux. En somme de la même manière que les Aborigènes le peignent. Sylvain Adou les a donc peint sur écorce, parce que l’arbre tient aussi d’une présence protectrice. De la même façon qu’il extrait l’argile au voisinage de sa maison.

« Les écorces, je vais trouver dans un quartier appelé Cotikan, près d’une scierie dans la ville de N’douci où je réside. Pour les lianes, je me rends dans un village nommé Batera, au fin fond de la forêt. Pour l’argile, il y a un bas-fond, dans une zone marécageuse, au lieu-dit Akonda. » Chez lui, la peinture ou le travail plasticien ne sont jamais très loin d’un lieu réel. C’est en une rivière qui coule et alimente sa recherche. Chaque matin, les femmes viennent au cours d’eau, ou à la plantation, et « elles recueillent l’argile, pour des soins médicaux, et les écorces aussi, dont on peut faire beaucoup de choses. » Et de la peinture entre autres.

Pour cette série de poteries « sensorielles », Ange Sylvain Adou revient d’Akonda avec cette argile grise d’une grande finesse. Cette fois, il entreprend d’étudier le lien. On peut déjà, avant d’aller plus loin, se poser cette simple question: qu’est-ce qui nous permet de lire le monde, d’en saisir l’infinie beauté, d’en transmettre les secrets et les évidentes clartés? Quel est donc le lien évident qui nous relie à lui ?

« Il faut beaucoup de force de l’énergie pour retirer du sol l’argile humide. Il est possible aussi de rencontrer des serpents ou des varans. Mais j’éprouve beaucoup de bonheur à ce travail. » S-A Adou

Les poteries d’Ange Sylvain figurent nos sens. La bouche et l’oeil, le nez… Parce que la bouche est un organe complexe qui prend et qui donne. Que l’oreille mette une attention permanente à la parole, à la musique, au bruissement des hautes herbes. Parce que l’oeil capte cette danse de la lumière et de l’eau, et nous permet de poser des balises aussi. Grâce à l’oeil, on sait que la rivière coule sous de grands arbres et que les arbres donnent la liane dont on fait la sculpture et le jeu des enfants.

« Tôt le matin, entre 6 et 9 heures, je me rends dans cet endroit pour creuser avec une machette et une daba. Il faut beaucoup de force de l’énergie pour retirer du sol l’argile humide. Il est possible aussi de rencontrer des serpents ou des varans. Mais j’éprouve beaucoup de bonheur à ce travail. Dans cette action, mon inspiration s’élève pour produire une beauté quotidienne, tangible. La poterie est liée à la vie et à l’humanité tout entière.« 

Ce dernier travail participe donc d’une lumineuse simplicité. Un moment, il s’agit d’une matière brute et l’instant, elle s’anime, elle bourdonne de sens. Une rivière spirituelle la traverse. Dieu est assis dans un carré d’ombre et mange des graines qui tombent sur le sol comme les gouttes de la pluie. Magique. Parce que nos sens nous ouvrent cet espace sacré de la beauté, suggère Ange Sylvain, et c’est une façon de célébrer cette merveilleuse capacité née d’un simple morceau d’argile.

Repères:
Ange Sylvain Adou est né en 1976 à Dabou ( Côte d’Ivoire). Après ses études avec ses parents dans un cadre religieux, il obtient un brevet technique en arts appliqués à l’institut de Bingerville (sculpture et option peinture, 2000).
Il occupe aujourd’hui le poste de vice-président des Artistes plasticiens de Côte d’Ivoire.
A obtenu en 2001, le prix PIAF (Afrique et Francophonie)

Ange Sylvain Adou, un tableau…
DEPUIS LE LEVER DU SOLEIL

On les voit tous les jours et c’est à peine si on les remarque. A l’ouverture du marché, ils sont déjà là à attendre que les commerçants les appellent. Ils ont dix ans, parfois moins. Ils viennent d’ici ou des environs. Les parents ne pouvaient plus s’occuper d’eux. Ils sont arrivés en ville pour manger.

Ange Sylvain Adou a commencé cette série il y a plusieurs mois en s’intéressant aux enfants porteuses d’eau, aux gamins qui font la manutention des sacs. Le peintre habite N’Douci, une petite localité du sud , département de Tiassalé. Mais ça n’a pas vraiment d’importance, parce que c’est la même chose partout.

« Souvent ils sont de familles très pauvres. Parfois, ils ont été amenés ici avec le trafic. Il y a des gens qui font ça depuis le Mali, le Burkina, le Nigeria. La traite des enfants. On leur dit qu’ils s’en sortiront mieux, que c’est leur seule chance. » A cinq heures du matin, ils commencent le travail. Certains ont dormi dans la rue, sous les étals. « Pour beaucoup, c’est tellement dur que le corps tombe malade. Mais qui va les soigner ? »  Bien sûr, ils n’existent pas, ils n’ont pas de papiers, il ne connaissent pas l’école, ne sauront jamais lire. « Leur seul rêve est d’ouvrir un jour une boutique. Vendre le garba (attiéké) ou la friperie. »

Ange Sylvain Adou peint d’ordinaire des motifs naturels qui disent la fierté africaine. Mais là, il voulait rendre la vraie vie. Dans ce tableau, il a associé en collage la toile de jute, de cette matière même qui fait les sacs de cacao, de charbon ou de légumes. De la même façon, son monochrome est couleur de terre, ocre brûlé de soleil, poussière, cailloux, lourdeur quotidienne. La couleur de la route entre la gare de N’Douci et le marché. Entre les camions et l’étal, le présent et l’avenir.

Le Baraseur, 0, 53 x 0, 35m, technique mixte, 2020.
Photos : ©A.S. Adou.

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