Nigeria / Restitution / La reine Idia / CONFESSIONS D’UN MASQUE

Comme un trou béant. Une obscurité de 130 années qui tombe sur l’histoire. L’épisode se passe en 1897. Depuis un an,  les Britanniques projettent une expédition punitive contre le royaume du Bénin. Ils connaissent ses immenses richesses et l’autorité locale de l’Oba, le roi, les ennuie beaucoup. La décision est prise, et une force de 1 500 hommes, dirigée par l’amiral Harry Rawson, se dirige alors vers la ville de Bénin. Le massacre a lieu le 18 février. On utilise les premières mitrailleuses et les soldats se livrent ensuite au pillage. Sur une photo, les hommes sont assis et fument des cigarettes devant des amoncellements d’objets précieux. Ils sont en or, en cuivre, en ivoire ou en bois, et ils représentent ce que le royaume a de plus précieux. Sa mémoire. Ce n’est pas seulement la possible valeur marchande qu’ils représentent, mais des pans de mémoire, qu’on emporte ou qu’on détruit.

Le masque n’a aucune fonction décorative, il est dépositaire de l’histoire.

Conservateur au musée de Bénin City (sud du Nigeria), Theophilus Umogbai prend à ce sujet une comparaison compréhensible d’un Occidental:  « Bach, Haendel, Shakespeare, Mozart — tout le monde. C’est ce qui nous a été fait. Imaginez si cela était retiré à l’Europe au cours des 130 dernières années. Pensez-vous que l’Europe serait là où elle est aujourd’hui? » 

Les masques de la reine Idia appartiennent à une époque vieille de 500 ans. Ils comptaient parmi les trésors du palais royal. Depuis 1897, les gens de Bénin City n’ont jamais pu les voir. Et pourtant, ils ont été fabriqués par des artisans du lieu. S’ils figurent aujourd’hui dans les salles du British Museum de Londres et que le public vienne les admirer, leur fonction première n’avait rien de décoratif. Pendant des siècles, les rois (Oba) sont apparus en publics avec ces artefacts, des masques narratifs en somme, qui entretenait le souvenir de leur règne. Les faits les plus importants sont mentionnés sur ces plaques de bronze et de cuivre. 

Trois mille pièces, volées ou détruites, et quelques 400 ans de mémoire arrachée.

« Ils ont été réalisés pour raconter l’histoire, pour en garder la mémoire et pour les transmettre d’une génération à l’autre »,  explique Enotie Ogbebor, artiste de Benin City et fondatrice des Studios Nosona. A Bénin city, des générations ont grandi sans ces repères. Ce que la ville a été, la beauté et la puissance qui étaient les siennes, et ce que peuvent représenter les masques de la reine Idia, ont été ignorés du plus grand nombre. L’une des artistes des studios, Osaru Obaseki, le définit ainsi. Aux murs, des photographies sont accrochées, « mais personne n’en tire satisfaction. Le sentiment de spoliation est profond. » Osaru dit être consciente de ce que le royaume du Bénin pourrait représenter aujourd’hui. Dans un reportage consacré à la restitution, Derek Jombon, également artiste, déclare « qu’il ne peut plus supporter de voir la rue, ce que la ville est devenue.  » Comme si cette histoire n’était pas la sienne,et  ne l’avait jamais été. Depuis 1897, une autre chose a été écrite. Eweka II qui a succédé en 1914 à l’oba Ovonramwen n’a jamais eu le moindre pouvoir. 

« Bach, Haendel, Shakespeare, Mozart — tout le monde. C’est ce qui nous a été fait. Imaginez si cela était retiré à l’Europe au cours des 130 dernières années. ( Theophilus Umogbai, conservateur)

Pour l’immense majorité des Nigérians, la restitution revêt une importance capitale. Elle est historique d’une part. « C’est comme brûler d’énormes bibliothèques, le récit que ces masques racontent est une relation cohérente de notre passé« , explique encore Theophilus Umogbai. Les demandes de restitution ont été nombreuses dans ce sens. Il y a un an d’ailleurs, l’Allemagne s’engageait à accélérer le processus. Un projet de muséum est d’ailleurs à l’état de projet. Conçu par l’architecte David Adjaye, il devrait être achevé d’ici 2026… si les créateurs peuvent lever environ 150 millions de dollars.  En 2010, une enquête montrait qu’à peine la moitié de la population avait connaissance de ce patrimoine. Ils sont aujourd’hui plus de 95 %.

Mais les musées sont loin de tous afficher la même position que le ministère allemand de la Culture. Le MET de New-York, qui possède un masque de la reine Idia, n’envisage aucun retour de celle-ci. Quant au British Museum qui en possède environ 900, il considère que des prêts seraient possibles, mais n’évoque aucun retour des pièces.

Dans leur article du New-York Times, Ruth Maclean et Alex Marshall, évoquent un homme d’affaires de Benin City, John Osamede Adun. Dans sa maison, une pièce entière est réservée à des masques de diverses époques. « Ce sont nos ancêtres. Nos pères, nos grands-pères », dit-il . « Il arrive que la nuit, je les entends qui parlent. » Les masques ont une importance que les Occidentaux ignorent. La spiritualité qui les entoure n’a rien d’anecdotique. Elle est aussi un pilier de l’histoire, une architecture immatérielle.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos DR
Article à lire dans le New York Times du 23 juin 2021, par  Ruth Maclean et Alex Marshall.
https://www.nytimes.com/2021/06/23/world/africa/benin-bronzes-Nigeria-stolen.html




2 commentaires sur “Nigeria / Restitution / La reine Idia / CONFESSIONS D’UN MASQUE

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  1. « Bach, Haendel, Shakespeare, Mozart — tout le monde. C’est ce qui nous a été fait. Imaginez si cela était retiré à l’Europe au cours des 130 dernières années. ( Theophilus Umogbai, conservateur) Cette phrase si juste frappe au coeur

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