Il y a beaucoup de choses qui relient Aboudia, peintre ivoirien, et la rue. On dira déjà que le graffiti y est comme un trait permanent au travers des époques et des tableaux. C’est le même langage, la même urgence de dire dans la langue graphique, comme en langage nouchi (argot urbain, fusion du malinké et du français), ce que la ville représente. La rue est dans l’oeuvre et Aboudia la peint. En décembre 2010, alors que le conflit embrasse son pays, il refuse de quitter Abidjan. Il se cache dans une cave. Parfois il sort et il peint ce qu’il voit. La rue, la guerre, la mort. Et puis la renaissance qui finit par revenir.

Et l’enfant demeure au centre, comme une urgence de responsabilité.
La carrière d’Aboudia, de son nom Abdoulaye Diarrassouba, connaît ces dernières années un succès planétaire. Les critiques l’apparentent au travail de Jean Dubuffet et les plus grandes collections se l’arrachent. On a même parlé récemment d’un contrat signé avec un fabricant de sodas (planétaire). Il sourit. Sa peinture garde le même élan, les mêmes principes d’humanité. Et l’enfant demeure au centre, comme une urgence de responsabilité.
S’il a peint la guerre de 2010, parce qu’il fallait témoigner, de la même façon il peint les gosses d’Abidjan comme un frère le ferait de sa propre famille. Les mots sont d’ailleurs identiques, dans un même vocabulaire des matières, le plus souvent récupérées. « Je les ramasse dans la rue« , dit-il. » Hors des poubelles, hors du trottoir. J’utilise du carton, du fusain et un crayon pour refléter la réalité de ces enfants. Ils dessinent leurs rêves avec de la craie, du fusain et tout ce qu’ils peuvent trouver.«
En février dernier, la vente Noutchy, à New York, connaissait le même succès que celle de Christie’s un an plus tôt. Des toiles comme » Famille seule » avaient alors explosé le plafond estimé et atteint les 42 000 £. Les sommes sont astronomiques, mais il existe néanmoins un lien entre ces montants et les rues d’Abidjan.
Aboudia, s’il vit désormais entre la Côte d’Ivoire et NY, n’a jamais vraiment quitté les rues africaines. Son centre culturel et sa fondation, installés à Bingerville, tout près d’Abidjan, continuent d’accompagner quelques-uns de ces gosses. « Modeste contribution, dit-il, en tout cas, la rue n’est pas une condamnation à mort. Il peut y avoir un après. » Et de se pencher sur leurs dessins, sur leurs envies, le besoin d’attention, d’inscription durable. Il y a des couleurs dans les pots, des crayons, du papier, des soins, de l’éducation. La peinture est vivante!
Tokyo, du 19 juin au 28 août 2021. Galerie Cécile-Fakhoury (Abidjan)
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et Cécile Fakhoury (remerciements à la galerie)
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