
Selon une idée reçue, il faut attendre la nuit pour que les « âmes » reviennent à la surface du monde. Tout ça se ferait dans l’obscur. A la seule lumière de la lune. « Connerie », me souffle dans l’oreille une chèvre à trois cornes, borgne et maligne, qui tient par la main un peintre du nom de Sainte-luce. Et ce dernier me fait signe, en me montrant des tableaux époustouflants de lumière, qu’il vient de ramener de l’Ombre. La grande, la définitive, celle qui fume la pipe et boit le sang du coq.
Cette nuit encore, Sainte-luce appliquait en touches solaires le cadmium et le pissenlit, sur ces visages jaillis du songe. Il me cite le poème de Birago Diop (Sénégal), tiré du « Souffle des ancêtres »: « 𝐸́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑠𝑜𝑢𝑣𝑒𝑛𝑡 / 𝐿𝑒𝑠 𝐶ℎ𝑜𝑠𝑒𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝐸̂𝑡𝑟𝑒𝑠 / 𝐿𝑎 𝑉𝑜𝑖𝑥 𝑑𝑢 𝐹𝑒𝑢 𝑠’𝑒𝑛𝑡𝑒𝑛𝑑, / 𝐸𝑛𝑡𝑒𝑛𝑑𝑠 𝑙𝑎 𝑉𝑜𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑙’𝐸𝑎𝑢. / 𝐸́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒 𝑉𝑒𝑛𝑡 / 𝐿𝑒 𝐵𝑢𝑖𝑠𝑠𝑜𝑛 𝑒𝑛 𝑠𝑎𝑛𝑔𝑙𝑜𝑡𝑠 : / 𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑙𝑒 𝑆𝑜𝑢𝑓𝑓𝑙𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑎𝑛𝑐𝑒̂𝑡𝑟𝑒𝑠. »
Cette toile s’appelle donc « LESPWINEG 7807 ». En langue créole, Lespwi est l’esprit et Neg, le noir. Et comme l’Esprit est joueur, qu’il se mélange volontiers les pinceaux et les identités, Sainte-luce se rappelle aussi qu’il fut Indien, et que l’or faisait au ciel des soleils en grand nombre. Lespwineg respire le bonheur, elle trace dans l’air des dessins d’enfance. L’enfance est au temps nécessaire, elle dit le commencement. La toile est un éternel recommencement. Les esprits rient et la chèvre est joyeuse.

« LESPWINEG 7807 ». Encre,acrylique, fusain et pastel sur tissu, 1, 00 x 1, 00m (déc. 2020)
RC (ZO mag’)
Photo: Jérôme Sainte-luce
« Lespwineg : Esprits, là » de Jérôme Saint-Luce, jusqu’au 4 juillet 2021. 5 rue Saint-Blaise 75020 Paris.
@galeriederniersjours