Tunisie / Sculpture / Mourad Zaraï / DES BOUTS DE FICELLES PENDAIENT DE L’ARBRE


La terre est blanche, Et la lumière l’est aussi. Elles sont dans une rencontre l’une de l’autre. Une extrémité de poussière et de clarté. Et sur cet aplat, qui pourrait être une peinture, dans cette immensité du désert qui commence, un homme marche, silhouette sombre et un âne noir, attelé à une cariole de bois qui grince. Dans cette campagne sèche, tout près de la mer tunisienne, tout près de son village de (…) , Mourad Zaraï prend quelques jours dans la famille. Il s’est assis dans l’ombre d’un arbuste et il regarde sur ce bout de chemin la charrette qui vient. « On dit Elkarrita, explique-t-il, ce sont deux roues de taille moyenne sur lesquelles tu as mis une planche de bois solide, et que tu attelles à la mule ou au cheval. Le mot est dérivé de l’espagnol carreta, et plus court en carro, qui est la charrette.« 

« Dire la terre d’où tu viens, de l’élan qu’elle te donne, pour partir et revenir ensuite. » Mourad Zaraï


Et il rit, parce que la langue est la même et que les hommes sont trop bêtes pour comprendre la tendre proximité des langues. Tout est attaché de la même façon: le dialecte, la charrette, les fagots de bois, les sacs qui contiennent. Et dans les arbres, des ficelles, des cordages qui pendent, des courroies que le paysan laisse au coin de la cabane ou du champ.


« Je pense que j’ai besoin de récupérer ces objets », dit-il dans une conversation, quelques mois plus tôt. C’est l’hiver, fichue saison. Mourad parle de la côte tunisienne et des cordes de l’elkaritta qui pendent à l’arbre. « Ce sera l’objet d’une prochaine installation, de dire la terre d’où tu viens, de l’élan qu’elle te donne, pour partir et revenir ensuite. Je reviendrai chez moi et je ferai cette sculpture. » Il pleut, Paris est vraiment triste, mais dans ses mots qui s’émiettent, c’est déjà la Tunisie qui commence.


C’est de cela qu’il s’agit et depuis les premières sculptures, de ces mouvements entre les lieux du temps. « En 2012, quand j’ai terminé ma maîtrise d’art, je me suis mis à expérimenter beaucoup de matériaux, tous en lien avec la récupération, la « seconde vie » de ces objets ramassés ici et là. En même temps, une idée m’intéressait très fort, liée à l’espace. On se déplace dedans, on y rencontre beaucoup de choses, de l’humain, de la résistance… On s’y découvre, dans le mouvement, c’est un révélateur. » Assis dans l’ombre de l’arbre, à regarder cette carriole qui se rapproche, c’est exactement ce sentiment plastique et philosophique qui lui vient. On est poussé à partir et forcé à revenir, comme par équilibre. On va vers l’avant, et l’arrière ramène à lui la carcasse de l’homme, comme la corde accrochée à la branche de l’arbre.

« On dit Elkarrita. Ce sont deux roues de taille moyenne sur lesquelles tu as mis une planche de bois solide, et que tu attelles à la mule ou au cheval. » Mourad Zaraï


Des ficelles de couleur, des cordes de nylon, restes de filets, boucles de cuivre, des bois qui feront clé, dans cet inventaire, les objets anciens suggèrent une fonction essentielle qui est celle de tenir et de lacher. Ils ouvrent et ils referment le paysage de l’installation. Mourad Zaraï l’a appelée elkaritta / الكريطة. Et la question vient alors de savoir ce qu’elle emporte dans ce paysage blanc, dans ce ciel hallucinant de clarté, quand elle s’éloigne ou se rapproche.
L’hypothèse de l’arbre, ou celle du cadre qui circonscrit la sculpture, est celle du point fixe.

L’homme et sa charrette sont dans le déplacement. Et la nostalgie est immense de cet arbre, de cette maison, de ce puits qu’ils ont quittés. Les sculptures de 2017, présentées par la galerie Essence et sens (Paris), figuraient déjà cette idée. A cette époque, Mourad vient de quitter Sousse. « J’ai mesuré alors, au travers de l’éloignement des miens, de ma famille et de ma terre, combien j’étais démuni, sans ces attaches. Mes personnages, ces silhouettes fragiles qui disent combien nous sommes des personnages démunis, sont reliés à ces vieilles boîtes de métal, à des contenants de mémoire. »


Cette fois, nous y sommes. « Elkarrita » est toute entière dans ce sentiment, dans ces morceaux de vie que la charette emporte et ramène avec elle. Il sourit, il revient à cet arbre sous lequel il s’est assis, devant ce ciel blanc et cette terre de même.  » La fidélité à Elkarrita est restée inébranlable dans de nombreuses régions tunisiennes et elle demeure un moyen de transport et un outil de travail. Je pense que c’est une image fondatrice, dans un album qui reste ouvert.« 


D’ici quelques semaines, Mourad Zaraï reviendra à Paris. Il se peut qu’il attende le coeur de l’été. Ou bien l’automne. la date n’a pas vraiment d’importance. Dans son sac, il emmène toujours des petites choses, des graines parce qu’il aime les plantes, des cailloux sortis de la mer, des coquilles, des morceaux de verre poli, des… souvenirs qui viendront se poser plus loin et raconter d’autres histoires. Elkarrita reprend sa route, elle monte dans un ciel bleu, elle traverse des temps modernes et rejoint les cités du futur. Elle leur amène les mots anciens qui ont dans toutes les langues le même sens.


Elkarrita الكريطة/ Zarai Mourad / installation 2021 (1, 62 x 1, 58 x 0, 64 m), accessoires en tissu, cuir, bois, fil ,métal.
Roger Calmé
Photos: Mourad Zaraï.

Repères:
Né en novembre 1986, à Sousse (Tunisie). Etudes classiques, suivies d’un master de recherche en Arts plastiques et d’un doctorat en « Sciences et pratiques des arts » (Université de Tunis).

Principales expositions:
2019: “la Tunisie ,une mosaïque entre traditions et modernité” au Centre Culturel Algérien (collective, Paris).
Juin 2019: Paris art expo, galerie Thuillier (collective).
Octobre 2018: Campo Santo d’Orléans, collective organisée avec l’association Art &Com (France)
Avril 2018: Sculpture en métal, Centre culturel de Vitry-sur-Seine.
” Festival Panorama du corps”, Centre dramatique et cynique de Sfax (Tunisie).
Novembre 2017: Borj Kallel, Sfax (Tunisie)
Centre culturel Yahya Ben Omar, Sousse (Tunisie)
Participant à L’évenement artistique et culturel Ø Participant à L’Exposition Collective Paris Art Expo à la galerie Thuillier du 15 au 22 Juin.

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