Une carcasse de voiture, dans un état de total délabrement. La portière est orange et laisse supposer un début de restauration. Le restant n’est que feraille. L’oeuvre s’appelle « State on State », et Onyis Martin, jeune homme féru d’automobile, ne l’a pas conçue comme un hommage aux constructeurs américains. Cette épave est la vision qu’il porte sur la société kenyane. Comme le dit l’un de ses amis, le sculpteur Thadde Tewa, » La comparaison qu’il en tire est affligeante pour Nairobi (et le pays tout entier) où ceux qui sont chargés d’entretenir la ville sont les mêmes qui la volent, tout en ne maintenant que les installations et les infrastructures à proximité de leurs résidences. » Corruption, compromissions diverses, complicités crapuleuses, détournements de biens publics, la liste est longue et le véhicule à l’arrêt.

Ce regard sur la vie urbaine s’intéresse donc dans un même temps à ces acteurs que nous sommes, humains, sortis des murs, en quête d’issue et d’identité. Sa série intitulée « Talking walls » (débutée en 2016) aborde la question. Sur des murs complexes, apparait un même visage, obsessionnel, l’interrogation de l’enfant ou du jeune homme que la vie prolonge indéfiniment. L’arrière plan est une succession de couches, stratification géologique de notre environnement, des émotions et des situations qu’il génère.
Les pièces que l’on peut découvrir actuellement, chez Art-Z abordent encore l’humain différemment. Cette fois le fond a disparu et le corps demeure dans une relative apesanteur, soumis à des courants alternatifs, des interruptions brutales, des déséquilibres à répétition. L’idée d’une place hypothétique et le projet de se trouver soi-même pulsent à l’identique. L’homme bascule dans un vide blanc (à l’image de la société dominante, dit-il), son corps est dans un état de dissolution avancé, que l’eau impose à l’encre.
Onyis Martin le compare donc à cette pression sociétale, invisible et permanente, qui rompt l’équilibre et précipite la chute. L’usage de l’encre n’est nullement fortuit. N’est-ce pas cette même encre qui sert à l’écriture officielle? aux pièces d’identité, à l’impression des documents et de l’information administrative? L’encre, dépositaire de la vérité et du mensonge, dont Onyis peint les corps et prononce les mots. Fragilité permanente, indélibile, à l’encre noire et mortelle.
L’arrière plan est une succession de couches, stratification géologique de notre environnement, des émotions et des situations qu’il génère.
Si l’actuel accrochage à la galerie Art-Z est succint, puisqu’il s’agit d’une collective, il reste très révélateur de ce sentiment. Il y a un an-et-demi, Afikaris avait déjà présenté une vingtaine de ses travaux et Out of Africa suivait également l’artiste. L’exigence qui est la sienne, et son cheminement atypique (devenu artiste… à 9 ans), en font un créateur singulier. Insensible à la mode, très attentif aux liens qu’il entretient avec les galeries, ses implications n’ont qu’un lointain rapport avec les exigences du marché, le « pop art » triomphant et les enchères à 10 000 dollars. Qu’il soit compris ou non, la question ne peut se poser dans ce terme. Sa place est ailleurs, dans un mur qui change de visage, qui place l’individu au centre et à la périphérie, mobile comme une pierre qui s’envole. Ou qui tombe au fond d’un puits. Lumineuse et humaine.

No man’s land / Exposition collective, jusqu’au 5 juin. Onyis martin avec Evans Mbugua, Lemek Sompoika et David Thuku,
Art-Z, 27 rue Keller, 75011 Paris. (Métro Bastille)
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: Onyis Martin et remerciements à Art-Z.
https://art-z.net/evans-mbugua-guests-2/
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