A quelle date, à quel lieu et quelle langue, nous pouvons remonter ? De quelle matière sont faites nos articulations, notre tolérance à l’injustice, notre empathie à la souffrance d’autrui? Pourquoi sommes-nous partis ? Pourquoi sommes-nous restés dans ce township, sous cette toile de plastique, dans ce tuyau de béton… Un jour, les questions commencent à se poser. Et elles sont comme des végétaux dans une éclosion permanente de langues et de formes. Pour s’en sortir, il faut alors trouver un sens à leur circulation.
Nicholas Hlobo assemble tous les mots qui lui tombent sous la main et qui permettent de retranscrire. Ce sont des sacs en plastique noir, des appareils digestifs pareils à des réseaux intestinaux (Ingubo Yesizwe, 2009). Ce sont des tissus, des tubes de cuivre (Isango, 2019), ou bien des meubles qui ont beaucoup servi, un design sorti de la Grande Benne, des ressorts qui percent le velours usé, des chambres à air, une machine à coudre (uvuko, 2017)… Ce sont les « choses » qui nous entourent, la musique spatiale et ambiante, la vitesse du fonctionnement. Et il faut maintenant réagir avec.
Ce grand débarras fondateur, qui est avant et après, Nicholas Hlobo le dit en langue xhosa. « Mon travail et les sujets sont ancrés dans mon identité sud-africaine, et je m’interroge constamment mon identité et mon appartenance à cette partie du monde. La nationalité à laquelle je me sens appartenir, étant sud-africaine, et ses relations avec le monde. Je raconte une histoire sur toutes mes identités, alors j’utilise la langue xhosa. »

Depuis sa première exposition chez Stevenson, en 2006, l’artiste se penche sur cette matière qui est au dedans et à l’extérieur, dans une correspondance permanente. Il ne cherche pas des réponses esthétiques à des questions identitaires ou sociétales. Il pose simplement des matières sur des interrogations assez fréquentes, assez ordinaires, et qui concernent la langue, la mémoire et la certitude d’être vraiment de cette couleur, de cette sexualité, et d’habiter ce quartier (Joburb, Af sud). En somme d’appartenir à une histoire qui accélère et ralentit, qui ressemble à d’autres histoires, qui est à la fois particulière et universelle. Afro-américaine ou issue de l’apartheid, mais en langue xhosa, parce que c’est de cette façon que pour lui, les choses se sont passées. Identité historique.
« Balindile I » est ainsi construite, dans une obligation au renoncement, une inacceptable obligation à conserver la place désignée, et ne jamais sortir du périmètre.
La parabole du Semeur (umBhovuzo, présentée en 2017 à Harlem)est universelle. Elle montre à quel point nous sommes coupés de nos histoires, soumis aux courants, emportés par le vent. Faute de savoir d’où nous venons… C’est l’histoire terrible de la fuite, des chaloupes à la mer, des corps engloutis. Mais elle n’est pas seulement sociétale, elle n’appartient pas uniquement à un moment chamboulé de l’histoire. Elle est dans la reconnaissance que nous avons de nous-mêmes. Dans notre capacité à générer de l’idée, des signes, du sens, et de reconnaître à ces mouvements une signification. « Je suis un homme noir, de culture xhosa, je suis né dans un quartier de Joburg qui a beaucoup changé depuis l’apartheid. Des gens ont habité ici. Cet endroit et moi… » semble-t-il dire dans nombre de ses oeuvres. Et partant de cette certitude, il est plus facile d’appréhender le monde sous ses couleurs véritables.

L’oeuvre que l’on peut actuellement voir à la Biennale de Liverpool, « Balindile I », date de 2012. On la traduira par: « Ceux qui attendent. » Fabriquée à partir de caoutchouc noir, récupéré dans les ateliers mécaniques de sa ville, elle évoque un ensemble de contraintes, de processus incontournables qui immobilisent un personnage, au centre de l’oeuvre, silhouette immobile, silencieuse. Ce n’est pas la plus onirique des oeuvres de Nicholas Hlobo. Pour tout dire… C’est une chose terrible que l’immobilité. « Balindile I » est ainsi construite, dans une obligation au renoncement, une inacceptable obligation à conserver la place désignée, et ne jamais sortir du périmètre. Il en était ainsi jusqu’au mois de juin 1991. Cette contrainte s’appelait « apartheid ».

Présent à la Biennale de Liverpool, du 19 mai au 27 juin 2021.
liverpoolbiennial2021.com
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et Nicholas Hlobo
Repères:
Né en 1975, Cape Town, Afrique du Sud; vit et travaille à Johannesburg. Il commence sa carrière à la fin de l’Apartheid, vers 1994. Diplômé des Beaux-arts du Technikon Witwatersrand (Johannesburg) en 2002.
Principales expositions personnelles:
2006: première exposition chez Mickael Stevenson (Af du Sud)
2008: Institute of Contemporary Art, Boston (USA).
Tate Moderne, Londres (GB).
2011: Musée national d’art, d’architecture et de design, Oslo (Norvège).
2013: Locust Project, Miami (USA).
2016: Musée Beelden aan Zee, La Haye, Pays-Bas.
2017: Uppsala Art Museum, Suède.
2019: Savannah College of Art and Design (SCAD) Museum of Art à Savannah (Georgie, USA)
Biennale de La Havane de 2009 et la Triennale de Guangzhou de 2008. Invité à la biennale de Venise 2011 avec Davis Goldblatt.
Nicolas Hlobo a reçu le Rolex Visual Arts Protégé (2010-11); Standard Bank Young Artist Award (2009); et le Tollman Award for Visual Art (2006).
A lire: In Conversation with South African Artist Nicholas Hlobo on How Detached We’ve Become From Our Histories – OkayAfrica
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