Haïti / peinture / Mario Benjamin / LE CIEL TOURNE DES YEUX AVEUGLES

Appréhender les toiles ou les performances de Mario Benjamin n’a rien d’une balade innocente. Ce sont des contrées où les oiseaux cessent de chanter, traversées d’aucune rivière, des lieux de cris et de désolation. N’allez pas plus loin dans cette lecture. Rebroussez chemin. Ici les choses appartiennent à l’envers. Né en 1964 à Port-au-Prince, le peintre haïtien n’en est pas moins l’un des chefs de file de la peinture insulaire. Mais sa puissance est sombre. Ses mots s’articulent avec une grande difficulté pour l’oreille humaine. Ils coulent comme un feu glauque.

Addiction, répulsion, attraction, migration des âmes

En 2012, dans l’introduction qu’il lui consacrait, Pascal Martin Saint Leon (Revue Noire) parlait déjà de cette caractéristique dépressive. Il disait:  » 𝘜𝘯 𝘢𝘤𝘵𝘦 𝘥𝘦 𝘱𝘦𝘪𝘯𝘥𝘳𝘦 𝘲𝘶’𝘪𝘭 𝘥𝘦́𝘤𝘳𝘪𝘵 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦 𝘶𝘯𝘦 𝘥𝘰𝘶𝘭𝘦𝘶𝘳. 𝘊𝘦𝘵𝘵𝘦 𝘱𝘦𝘪𝘯𝘵𝘶𝘳𝘦 𝘲𝘶𝘪 𝘭𝘦 𝘤𝘰𝘯𝘴𝘶𝘮𝘦 𝘵𝘢𝘯𝘵, 𝘲𝘶𝘪 𝘭𝘦 𝘥𝘦́𝘷𝘰𝘳𝘦 𝘵𝘢𝘯𝘵. 𝘊𝘦𝘵𝘵𝘦 𝘱𝘦𝘪𝘯𝘵𝘶𝘳𝘦 𝘭𝘶𝘪 𝘱𝘦𝘳𝘮𝘦𝘵 𝘥’𝘦𝘹𝘱𝘳𝘪𝘮𝘦𝘳 𝘭’𝘪𝘯𝘯𝘰𝘮𝘮𝘢𝘣𝘭𝘦, 𝘭𝘢𝘪𝘴𝘴𝘢𝘯𝘵 𝘭𝘦 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘪𝘴𝘴𝘢𝘪𝘳𝘦 𝘰𝘶 𝘭𝘦 𝘤𝘳𝘪𝘵𝘪𝘲𝘶𝘦 𝘢̀ 𝘤𝘰𝘶𝘳𝘵 𝘥𝘦 𝘮𝘰𝘵𝘴 𝘦𝘵 𝘥𝘦 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦𝘯𝘵𝘢𝘪𝘳𝘦𝘴. » Le critique évoquait des actes maniaco-dépressifs et un dédoublement de la personnalité. Dans ces eaux, chaque coup de rame ramène à la surface les visages de l’envers. Nous sommes à Haïti, et la liste est longue. Elle commence ici, à la porte du jardin. Un vieil homme en garde l’accès.

 » 𝘜𝘯 𝘢𝘤𝘵𝘦 𝘥𝘦 𝘱𝘦𝘪𝘯𝘥𝘳𝘦 𝘲𝘶’𝘪𝘭 𝘥𝘦́𝘤𝘳𝘪𝘵 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦 𝘶𝘯𝘦 𝘥𝘰𝘶𝘭𝘦𝘶𝘳. 𝘊𝘦𝘵𝘵𝘦 𝘱𝘦𝘪𝘯𝘵𝘶𝘳𝘦 𝘲𝘶𝘪 𝘭𝘦 𝘤𝘰𝘯𝘴𝘶𝘮𝘦 𝘵𝘢𝘯𝘵, 𝘲𝘶𝘪 𝘭𝘦 𝘥𝘦́𝘷𝘰𝘳𝘦 𝘵𝘢𝘯𝘵. 𝘊𝘦𝘵𝘵𝘦 𝘱𝘦𝘪𝘯𝘵𝘶𝘳𝘦 𝘭𝘶𝘪 𝘱𝘦𝘳𝘮𝘦𝘵 𝘥’𝘦𝘹𝘱𝘳𝘪𝘮𝘦𝘳 𝘭’𝘪𝘯𝘯𝘰𝘮𝘮𝘢𝘣𝘭𝘦. » Pascal Martin Saint Leon (Revue Noire)

Ce voyage a débuté très tôt. A 14 ans, il commence à fouiller dans l’épaisseur de l’encre et du papier. Plusieurs rencontres seront ensuite décisives. La peintre afro-américaine Lois Mailou Jones tient une place importante. Elle l’aide à comprendre la composition et l’équilibre des couleurs. Dans les années 80, certainement par l’intermédiaire de sa mère, elle-même actrice, il appréhende en même temps le happening et débute ainsi ses premières performances. Les deux expressions chemineront ensuite de concert. Par la toile et l’écartèlement du corps, la plongée ne fait que se poursuivre.

A la fin des années 1990, Mario Benjamin représente régulièrement Haïti dans les grandes biennales. Il est à Johannesburg (1997), Venise (2001), Gwangju (Corée du Sud, 2008), Dakar au Sénégal (2010). En 2016, la Revue Noire lui demande de participer au projet itinérant TRANS. Plus récemment, il a rejoint l’espace Lally, à Béziers. Dans ce lieu, totalement acquis à la peinture haïtienne, le public français peut découvrir un travail multiple qui tient à la fois du mouvement, de la couleur et du cauchemar.

De la profondeur du marais, des visages remontent. Ils sont décomposés, et pourtant ils appartiennent à la vie. Mario Benjamin ne s’en éloigne jamais. Derrière ces traits tordus, dans ces hachures de la réalité, passe parfois le visage d’un proche, vivant ou disparu, visiteur de l’enfer.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos DR et collection de l’artiste
Mario Benjamin est en France à la galerie Lally (Béziers)
https://www.espacelally.com/artists/
Site de l’artiste: www.mariobenjamin.com (en construction)

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