« Etre noir en Amérique demeure un évènement politique ». Cette phrase de Senga Nengudi pourrait résumer la trajectoire de la sculpteure, grandie dans les ghettos de Los Angeles. En 1965, histoire de resituer le cadre, elle a vingt ans et les émeutes de Watts ont été réprimées dans le sang. Cette répression a certainement été le premier ciment politique de cette jeune diplômée de la California State University où elle a étudié l’art et la danse. Ces années de braise lui permettront de trouver son langage, dans une conjugaison de la performance et de la sculpture, dans une rupture radicale avec l’Occident. L’improvisation, le jazz, la danse -et un long séjour au Japon- lui permettent alors de trouver le vocabulaire capable d’exprimer cette nécessaire rupture du langage qui est d’abord un refus sociétal.
« 𝘓𝘰𝘳𝘴𝘲𝘶𝘦 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘴𝘰𝘮𝘮𝘦𝘴 𝘥𝘦𝘴𝘤𝘦𝘯𝘥𝘶 (𝘦)𝘴 𝘥𝘦𝘴 𝘣𝘢𝘵𝘦𝘢𝘶𝘹, 𝘭’𝘪𝘮𝘱𝘳𝘰𝘷𝘪𝘴𝘢𝘵𝘪𝘰𝘯 𝘦𝘴𝘵 𝘥𝘦𝘷𝘦𝘯𝘶𝘦 𝘶𝘯 𝘰𝘶𝘵𝘪𝘭 𝘥𝘦 𝘴𝘶𝘳𝘷𝘪𝘦 : 𝘢𝘨𝘪𝘳 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘦 𝘮𝘰𝘮𝘦𝘯𝘵, 𝘵𝘳𝘰𝘶𝘷𝘦𝘳 𝘥𝘦𝘴 𝘴𝘰𝘭𝘶𝘵𝘪𝘰𝘯𝘴 𝘯𝘰𝘶𝘷𝘦𝘭𝘭𝘦𝘴; 𝘷𝘪𝘷𝘳𝘦. » Senga Nengudi
Si bien que les années 70 faisaient déjà d’elle le leader de cette avant-garde radicale. Aux côtés de B. McCullough, Maren Hassinger, Franklin Parker, Houston Conwill, Ulysses Jenkins, elle sera à l’origine du Studio Z, en rupture permanente avec les codes esthétiques de cette Amérique confortablement installée dans les certitudes de classes et de couleurs.
L’𝘪𝘮𝘱𝘳𝘰𝘷𝘪𝘴𝘢𝘵𝘪𝘰𝘯 𝘦𝘴𝘵 𝘥𝘦𝘷𝘦𝘯𝘶𝘦 𝘶𝘯 𝘰𝘶𝘵𝘪𝘭 𝘥𝘦 𝘴𝘶𝘳𝘷𝘪𝘦
Depuis rien n’a vraiment changé, si ce n’est la recherche d’une expression de plus en plus limpide, totalement épurée. Il y a trois ans ans, la biennale des Ateliers de Rennes avait permis de (re)découvrir son travail et les thèmes qui le charpentent. En 2014, la mort de Michal Brown (18 ans), abattu par la police de Fergusson (Missouri), alimente toujours la dénonciation. « Lorsque nous sommes descendu (e)s des bateaux, l’improvisation est devenue un outil de survie : agir dans le moment, trouver des solutions nouvelles; vivre. Cette tradition traverse le Jazz, (…) l’ajustement constant que demande un environnement hostile (…). »

Son travail artistique s’inscrit dans la même énergie. Elle évoque la résistance nécessaire, elle tend à l’extrême des collants féminins, qui symbolisent cette résilience, et dans la tension du cordage, l’évocation d’un instrument de torture et de musique. Le corps est attaché. Il danse, lié à ce monde figé, immobile et blanc. La présentation que lui consacre le Philadelphia Museum of Art prolonge encore ce refus de la forme et de la fonction.
Noir dans un paysage de couleur inverse, noir(e) et retenu aux murs qui referment l’espace, suspendu par ces liens, immobilisés, comme des proies, dans l’attente d’un festin d’araignée.
L’exposition s’appelle « Topographies ». Au commencement de cette sinistre histoire, ce sont des cartes ouvertes, topographies pour un massacre et un déplacement annoncé. Ce sont des royaumes et des frontières qui s’inventent et qui s’infligent. Tout est lié et liens, entrave et lignes de tension. La figuration d’un corps immobile au centre de la toile! Et des chemins qui mènent à cette chair.

« Topologies » de Senga Nengudi, du 1er mai au 25 juillet 2021, Philadelphia Museum of Art (USA)
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR, Senga Nengudi et Musée d’art de Philadelphie.
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