Début février, l’Alliance Ethio-française (Addis-Abeba) accroche à ses murs 45 œuvres du peintre Dereje Shiferaw. Ce sont des portraits… taillés à l’emporte-pièce. En ce sens qu’ils mettent au-devant du visage l’expression première et la vérité des couleurs. Dereje Shiferaw ne recherche aucune séduction. Les regards sont parfois lourds, vaguement surpris, murés dans la décision, et les mains… A l’image du photographe américain Dawoud Bey qui parlait de la vérité des mains, celles que peint Dereje Shiferaw rappellent les mains du peintre flamand Constand Permeke. Ca se passait de l’autre côté de la terre, dans la profondeur des labours. Terre sombre, visages refermés et puissants, mains énormes habitées par le travail. Dereje Shiferaw est de cette catégorie qui lit au travers du corps et de la posture la décision de l’esprit.
Dans l’interview qu’il donne à un média éthiopien, Shiferaw parle de « 𝘤𝘢𝘱𝘵𝘶𝘳𝘦𝘳 𝘭’𝘦𝘴𝘱𝘳𝘪𝘵, 𝘭’𝘦𝘴𝘴𝘦𝘯𝘤𝘦 𝘦𝘵 𝘭’𝘩𝘦́𝘳𝘪𝘵𝘢𝘨𝘦 𝘥𝘦 𝘮𝘰𝘯 𝘴𝘶𝘫𝘦𝘵 𝘦𝘵 𝘥𝘦 𝘭’𝘶𝘵𝘪𝘭𝘪𝘴𝘦𝘳 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦 𝘶𝘯𝘦 𝘰𝘤𝘤𝘢𝘴𝘪𝘰𝘯 𝘱𝘰𝘶𝘳 𝘭𝘦 𝘮𝘰𝘯𝘥𝘦 𝘥𝘦 𝘳𝘦𝘨𝘢𝘳𝘥𝘦𝘳 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘢 𝘷𝘪𝘦 𝘦𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘭𝘶𝘵𝘵𝘦𝘴 𝘥𝘦𝘴 𝘨𝘦𝘯𝘴 𝘥𝘰𝘯𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘩𝘪𝘴𝘵𝘰𝘪𝘳𝘦𝘴 𝘯’𝘰𝘯𝘵 𝘱𝘢𝘴 𝘦𝘯𝘤𝘰𝘳𝘦 𝘦́𝘵𝘦́ 𝘳𝘢𝘤𝘰𝘯𝘵𝘦́𝘦𝘴 … ». A l’image de cette femme, les mains devant elle, posées sur ses genoux, des jointures épaisses, tordues par la répétition de la peine. Un critique local évoque à ce sujet » la ténacité et la dignité » que confère à ces sujets la perte d’une chose. Foutaises.
C𝘰𝘮𝘮𝘦 𝘶𝘯𝘦 𝘰𝘤𝘤𝘢𝘴𝘪𝘰𝘯 𝘱𝘰𝘶𝘳 𝘭𝘦 𝘮𝘰𝘯𝘥𝘦 𝘥𝘦 𝘳𝘦𝘨𝘢𝘳𝘥𝘦𝘳 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘢 𝘷𝘪𝘦 𝘦𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘭𝘶𝘵𝘵𝘦𝘴 𝘥𝘦𝘴 𝘨𝘦𝘯𝘴 𝘥𝘰𝘯𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘩𝘪𝘴𝘵𝘰𝘪𝘳𝘦𝘴 𝘯’𝘰𝘯𝘵 𝘱𝘢𝘴 𝘦𝘯𝘤𝘰𝘳𝘦 𝘦́𝘵𝘦́ 𝘳𝘢𝘤𝘰𝘯𝘵𝘦́𝘦𝘴 … » Dereje Shiferaw
Ce n’est pas la souffrance, mais l’être profond, l’humanité première. Nous n’avons nullement besoin de souffrir pour être humains. Faut-il perdre un enfant, faut-il voir sa maison et sa récolte, détruites par les bombes pour atteindre à la légitimité humaine? Dereje Shiferaw est bien plus subtil que ça. Il donne au silence de l’ordinaire, à cette vie faite de riens, une clarté intérieure, une volonté que rien ne va démentir.
Né en 1978, peintre par sa propre volonté, hors les murs des écoles, Dereje explore donc cet intérieur et engage avec son spectateur un intéressant dialogue. Lors de cette même exposition à Addis-Abeba, Manfred Seitinger écrit à son sujet, : » 𝘊’𝘦𝘴𝘵 𝘶𝘯𝘦 𝘪𝘯𝘤𝘪𝘵𝘢𝘵𝘪𝘰𝘯 𝘢̀ 𝘴’𝘪𝘯𝘷𝘦𝘴𝘵𝘪𝘳 𝘱𝘩𝘺𝘴𝘪𝘲𝘶𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵 𝘦𝘵 𝘦́𝘮𝘰𝘵𝘪𝘰𝘯𝘯𝘦𝘭𝘭𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭’𝘩𝘪𝘴𝘵𝘰𝘪𝘳𝘦 𝘥𝘶 𝘴𝘶𝘫𝘦𝘵. 𝘚𝘰𝘯 𝘱𝘰𝘪𝘯𝘵 𝘥𝘦 𝘮𝘪𝘳𝘦 𝘦𝘴𝘵 𝘭’œ𝘪𝘭, 𝘭𝘦 𝘯𝘦𝘻, 𝘭𝘢 𝘣𝘰𝘶𝘤𝘩𝘦 𝘦𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘮𝘢𝘪𝘯𝘴, 𝘭𝘢̀ 𝘰𝘶̀ 𝘯𝘰𝘴 𝘦́𝘮𝘰𝘵𝘪𝘰𝘯𝘴 𝘴𝘰𝘯𝘵 𝘭𝘦 𝘮𝘪𝘦𝘶𝘹 𝘳𝘦𝘱𝘳𝘦́𝘴𝘦𝘯𝘵𝘦́𝘦𝘴… » Puis il va plus loin encore et résume la philosophie de Dereje Shiferaw par cette formule lapidaire: 1 + 1 = 3. « 𝘌𝘯 𝘳𝘦𝘤𝘰𝘯𝘯𝘢𝘪𝘴𝘴𝘢𝘯𝘤𝘦 𝘥’𝘶𝘯𝘦 𝘱𝘶𝘪𝘴𝘴𝘢𝘯𝘤𝘦 𝘴𝘶𝘱𝘦́𝘳𝘪𝘦𝘶𝘳𝘦 𝘵𝘰𝘶𝘫𝘰𝘶𝘳𝘴 𝘱𝘳𝘦́𝘴𝘦𝘯𝘵𝘦 𝘱𝘢𝘳𝘮𝘪 𝘦𝘵 𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘯𝘰𝘶𝘴. » Et cette fois, l’éclairage est le bon.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos DR et Kalkidan Zelalem
Laisser un commentaire