Il est bien possible qu’un jour, et plus vite qu’on le pense, un critique compare les visages de Danae el Hadrouji et ceux que peint au 17ème Domenikos Theotokopoulos, plus connu sous le nom du Greco. Dès le premier paragraphe, apparaîtront les mots « visages allongés », « théâtralité de la souffrance ». Plus loin dans le texte, le spécialiste citera Matisse et Pollock. Ca fait toujours bien ! Ceci dit, le bougre n’aura pas tout à fait tort. Danae el Hadrouji impose à ses visages ce même sentiment. Mais elle va aussi plus loin, beaucoup plus loin.
Depuis ses premiers portraits en noir et blanc, l’artiste marocaine s’attache à une représentation très humaniste de ce que le silence impose à l’humanité. Ce sont des êtres enfermés, murés dans la solitude, des personnes oubliées, dans la froideur d’un sépulcre, d’une prison. Ou d’une croyance. Le Greco songe à la rédemption, à cette promesse extatique que Dieu lui promet (et tant pis si ça fait mal). Son ciel est bleu. El Hadrouji traite de la réclusion, des murs impitoyables, et du bruit des clés dans les serrures.
En 2020, la peintre a ainsi composé des portraits rapiécés qui empruntaient à des pansements, des couches successives de douleur et de cicatrisation. Difficile d’évoquer l’extase, même si le visage est allongé. En ce début d’année, elle échappe quelques instants à ces monochromes noirs et blancs. Ces touches vertes ou mauves sont celles d’une teinture, sur une plaie que sa peinture cherche à guérir. Il n’en ressort aucune clarté. La grimace est toujours là, qui déforme les traits. Au contraire du Greco et de ses éclairages maniéristes, El Hadrouji pose simplement un autre cache sur le visage originel, celui que l’on ne voit plus, là-bas tout au fond de la toile.
L’homme ou la femme qui étaient au commencement.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : ©D. El Hadrouji
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