La première phrase qu’elle dit. On est encore sur le trottoir, avant de rentrer dans la maison. Il fait un temps bruxellois. Des oiseaux et un ciel qui circule. « Mon atelier, c’est moi-même. J’habite dans un corps et je peins dans moi-même. Ce corps, je le transporte où je vais, je le pose et je continue à peindre. Ma cuisine est un atelier, ma chambre est un atelier, pourvu que je puisse fabriquer. » Elle ouvre la porte.
Il y a sept ans, quand elle est arrivée en Belgique, Mireille Asia Nyembo peignait dans sa cuisine. Elle trempait le raphia dans un bol et faisait ainsi sa couleur. « Puis je me suis décidée à prendre un espace, une cave. Mais une cave claire, parce que la lumière m’est indispensable pour fonctionner. Et ce lieu, j’ai senti une immédiate connexion. » Souvent elle va évoquer ce mot. Il la relie à l’Histoire, à son travail sur la mémoire et les textiles traditionnel, à la terre ancienne et présente, à la nécessité de peindre et de mettre des tas de petits papiers qui balisent le terrain et permettent à ses gestes de circuler librement. Un rangement des choses qui pourrait être celui d’un laboratoire, d’une plateforme d’expérimentation, nourrie de couleurs, de lumière, de sentiment… en permanente connexion.





L’endroit est assez réduit. A peine 12 m². De grandes baies vitrées laissent entrer cette lumière liquide du nord. Elles dominent une rue. Et ce positionnement lui importe beaucoup. « Je ne la vois pas, mais je l’entends. Il n’y a pas de voitures, mais des gens qui marchent. J’entends leurs pas et cela me remet aussi dans la réalité. En fait, je peux être ainsi entre ma bulle, ma réflexion et la vie autour, de rester connectée à cette réalité. Parce que cet environnement me questionne aussi. L’atelier est un espace intermédiaire, entre l’intérieur et l’extérieur. »
« Tout est écrit, sur des centaines de stickers. Quand je rentre, les murs sont comme des écrans, où tout est marqué. C’est impossible qu’ils soient vides, je mets dessus tout ce à quoi je pense. » Mireille Asia Nyembo
Sur la table, tout est ordonné de façon précise.Des bocaux, beaucoup, de toutes les tailles, en verre ou en plastique, qui contiennent quantité de matières. L’argile, le sel, l’huile, les fibres qui macèrent, avec des dates inscrites, des clous rouillés, la mention du début et celle de la fin, qui disent le cheminement dans l’image, la plongée dans le sens. « Tout est écrit, sur des centaines de stickers. Quand je rentre, les murs sont comme des écrans, où tout est marqué. C’est impossible qu’ils soient vides, je mets dessus tout ce à quoi je pense. » Indications techniques, posologie du rêves, pensées des philosophes. La dernière qui va l’accompagner plusieurs semaines encore : « Ne sois pas victime de ta propre vie. »

Un laboratoire ? Sans doute, mais plus encore, une plateforme assez cosmique, plantée dans une autre dimension, à l’intersection des mondes. « L’atelier, c’est comme si je me jetais dans l’univers. C’est un espace infini, où je peux aller dans des possibilités également infinies. Il n’y a pas de limites, il n’y a pas de murs. » Elle propose alors une image, un exemple de ce qui se passe dans la nature. Elle parle de la connexion que les arbres établissent entre eux et des informations qu’ils échangent. « Il y a un champignon qui assure cette communication, un réseau mycélien. Je dois rester en communication avec ce qui m’entoure, et l’atelier participe à ça. » On entend tout à coup frapper à la porte. Nous sommes à son second atelier, dans la maison familiale. C’est son fils qui vient lui demander ce qu’elle fait. Elle sourit. Lui aussi participe à la connexion. La plateforme spatiale garde toujours un rhizome terrestre.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : © Mireille Asia Nyembo
Représentée par la galerie Kub’Art (Québec)
Contact : Tél. : +1 43 82 26 5615
Mail : ykwete@kubart.gallery
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