Le premier regard ne suggère pas de figuration particulière. Un miroitement sombre sur une surface en mouvement. Il s’agit plutôt d’un sentiment, peut-être d’une volonté. La photographie ne donne aucune dimension. C’est simplement vaste, à l’image du questionnement que cela soulève. Un jour, Mireille Asia Nyembo a voulu savoir. Au fond, la création n’est qu’un besoin d’éclaircissement. Appliquer la couleur, recréer la lumière et faire que l’ombre se déplace. Construire pour comprendre notre place, notre langue, notre façon de dire les heures et la vie.
L’explication serait donc à chercher avant. C’était une époque qui précédait l’art. Un lieu assez solitaire, rempli d’épines, de grands ciels sombres et de mots privés de mouvements. Elle le dit à ses proches, dans ses conversations sur le travail, la matière, les teintures, le tissu : « Ce n’était pas moi, je ne reconnaissais pas la place des choses, je voulais retrouver ma mémoire. » Ou plutôt un pluriel de mémoires qui définirait aussi bien sa vie, que le monde tout autour, à commencer par la terre congolaise, dans cet oubli colonial qu’on lui impose.
« Comment se reconnaître soi-même dans des tissus qui ne sont pas les nôtres, dans une manière de se vêtir qui ne nous appartient pas, et que ce soit obligé, que ce soit la loi. » Mireille Asia Nyembo
Depuis 2017, l’artiste porte ses recherches sur un domaine très particulier de la mémoire, au travers du tissu. Le centre d’art textile contemporain de Tournai (TAMAT) lui octroie une bourse de recherche sur l’usage africain du wax, tissu d’importation. « Comment se reconnaître soi-même dans des tissus qui ne sont pas les nôtres, dans une manière de se vêtir qui ne nous appartient pas, et que ce soit obligé, que ce soit la loi. », interroge-t-elle.
Comme pour la langue, les croyances, les soins, l’habitat, Mireille Asia s’intéresse à déconstruire cette spoliation. Le langage artistique permet toutes les libertés. A commencer celle« de répondre à nos interrogations identitaires, mais aussi de se donner la responsabilité d’écrire l’histoire de mon pays, à ma manière. » Et c’est bien de ça qu’il s’agit, de reconstruire un paysage en cohérence avec ses racines, avec sa terre, ses songes et ses réalités.
Les travaux qu’elle a présentés jusqu’ici sont étonnants, tant par la recherche plastique (voir encadré), que la diversité des médiums. Qu’il s’agisse des grandes pièces comme « New way » (cendre de raphia sur wax), des installations à l’image de « Revalorisation » (teinture de raphia et or, sur coton) ou des pièces plus petites, comme « Effacement, éclatement et reconstruction » (cendre de raphia sur pagne rigidifié), la déconstruction du textile est totale. On en montre les phases, on en suggère la métamorphose, jusqu’à une renaissance complète. Mireille Asia va au terme de ce voyage. Et ce n’est pas un hasard si certaines de ses réalisations ont la légèreté d’une aile. Une invitation nouvelle à se déplacer et ré-écrire le temps et le lieu.

Quand elle revient plus avant dans sa propre histoire, l’artiste place la question, majuscule et organique, au centre de sa vie. Le besoin de comprendre. « Comment se reconnaître soi-même dans des tissus qui ne sont pas les nôtres, dans une manière de se vêtir qui ne nous appartient pas, et que ce soit obligé, que ce soit la loi. », « Le manque de réponse a pu créer en moi un blocage. A 16 ans, je me suis plongée dans la littérature, l’histoire de ma famille, ma culture, mon pays, et puis le dessin est venu (…). » Dans un livre de Camara Lay, l’auteur parle de « la femme de résignation », se souvient-elle. Elle préférera de loin «l’effort de reprise sur soi» de Frantz Fanon dans «Peau noire, masques blancs ». Tout est dans ce titre. Ce que l’on est au plus profond et le masque qui nous enveloppe. La couleur que l’on choisit alors. L’accord intime à sa mémoire.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : © Mireille Asia Nyembo
Présent à la Kub’Art, (Québec)
Contact : Tél. : +1 43 82 26 5615
Mail : ykwete@kubart.gallery

Quand la cendre redevient lumière
Déconstruction-reconstruction. Pour ré-écrire son histoire, Mireille Asia prend totalement possession du tissu hollandais. Au terme de ce travail, il n’en restera rien qu’un support. L’effacement est à la fois dans le découpage de la pièce et dans le changement de son apparence, comme de sa texture. Pour cela, elle recourt au raphia, à la fois pour son origine locale, mais aussi son potentiel colorant, qu’il s’agisse du pigment obtenu par broyage ou de sa réduction en cendre, par le feu. « Sa démarche expérimentale, profonde et réfléchie, la mène à analyser cette matière, sa texture (…), par des expériences rigoureuses. » écrit Béatrice Pennant, historienne de l’art. Traditionnellement utilisé dans le tissage des velours, le raphia lui propose une palette de jaunes flamboyants et solaires, des noirs carboniques, quasiment minéraux. La liberté retrouvée est immense. Le résultat final suggère d’immenses tableaux rythmiques, ondulations magistrales sorties d’un vaste océan. La matrice. L’origine.
Un travail magnifique. Bravo !!!
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