Dans les sculptures qu’il a produites jusqu’ici, Beau Disundi évoque souvent la notion d’endroit intermédiaire. « Nous n’appartenons plus à une seule époque », dit-il, « ni à un seul lieu. Nous sommes à cheval sur le temps et les lieux. Par exemple, je suis Africain, mais en même temps, je suis nourri de culture occidentale. Les formes que je crée, mon imaginaire, sont à cette image. Nous pourrions être « à cheval », entre deux états, des mots, entre des sphères, des concepts. » La société, l’individu deviennent des éléments « intermédiaires ».
Depuis le commencement, ses œuvres témoignent de la rencontre. Elle sont profondément multiculturelles, à l’image de « Dreamlike underground 1 et 2 (2018) ». Un homme penché, marche, à l’image des personnages de Giacometti. Ou bien son « Don Quichotte », erratique, sur son cheval d’os et de vent. La forme qu’elles prennent peuvent inspirer un traitement cubiste. Des personnages réduits à l’essentiel, des lignes puissantes et épurées, « trois traits », sourit-il, pour traiter du quotidien.

Beau Disundi reste très attaché à cette représentation de la vie ordinaire, qu’il capte au travers du geste. « Délestage (2020) », l’une de ses dernières réalisations, est à cette image. « Des humains assis sur des bancs dans l’attente de l’électricité. C’est un geste assez essentiel, on y passe de longues heures, il impacte nos vies. » Et Disundi le traite dans le bronze, tel que son père sculpteur le lui a enseigné. La modernité d’une scène, la sculpture qui emprunte à l’Occident sa forme, mais dans une figuration africaine et un matériau qui est celui de son enracinement. A cheval !
« Nous n’appartenons plus à une seule époque », dit-il, « ni à un seul lieu. Nous sommes à cheval sur le temps et les lieux. » (Beau Disundi)
Et de la même façon, le travail qu’il vient d’entreprendre doit s’inscrire. Cette fois, le sculpteur congolais amorce un grand virage et entend explorer ce que l’Occident a pu apporter à la sculpture, dans la représentation de ses gestes. Très rares sont les artistes africains qui risquent cette traversée. On reste en général dans un catalogue de formes arrêtées, transmises, et qui fondent notre culture. Disundi veut dépasser ce cadre. Il s’intéresse à Rubens (la Descente de la Croix), il cherche à comprendre les gestes d’un Christ au moment d’un dernier repas. Parce que ces postures, ces mains tendues traduisent aussi des instantanés culturels. De cette façon, s’expriment la colère, le dépit, la puissance, la sagesse, le renoncement… Dans ce pluriel infini des scènes, il enrichit sa propre histoire et sa liberté.
Il y a quelque chose d’infiniment singulier chez cet artiste. Installé aujourd’hui à Dunkerque, dans cette cité sidérurgique et portuaire, il nous ouvre son atelier et nous présente une œuvre… à venir. Le travail est en cours de réalisation. Il faudra plusieurs mois pour l’achever. « Avec ce que Rubens me dit, et d’autres grands peintres ou sculpteurs, je veux continuer à explorer la fragilité. Je pense que la verticalité se prête bien à ce thème. Ce sera donc une sculpture verticale, constituée d’escaliers et de personnagesengagés dans une ascension. » Il montre des dessins. On songe à De Vinci, au moment où il projette sa machine à voler (1488), quatre siècles avant les premiers aéroplanes.
Mais il va plus loin encore. Si son père lui a enseigné le bronze et la grande beauté des girafes, animal vertical lui aussi, Disundi veut inclure son propre rêve. Et la matière est rêve. Cette sculpture associe au matériau traditionnel, la fibre de carbone. Dans cette scène assez prophétique, des êtres nouveaux, fragiles et téméraires, s’engagent dans l’escalade. La fibre de carbone, c’est l’ultra-modernité, les avions, les automobiles futuristes ; c’est l’homme mutant, dans un rêve d’enfant et une nécessité.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : DR et ©Beau Disundi
Article intéressent et artiste prometteur. Je reste connectée pour voir la suite.
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