Nigeria / Wole Lagunju / JEUNES MIROIRS SOURIANTS

La peinture, c’est parfois comme un accident de voiture. A un carrefour, refus de priorité, les époques se télescopent. D’une certaines façon, Wole Lagunju peint ces percussions. Il y a deux ans, nous l’avions croisé, dans une exploration (coloniale) du 16ème et 17ème siècle. L’époque où les navires commerçants de l’Angleterre et de la Hollande accostent. Et c’est d’ici, qu’ils repartent encore, les cales chargées d’or et de chair humaine. Wole peignait alors la collision et la traduisait graphiquement, avec des masques Gelebe posés sur de somptueux habits de cour. Le crime est caché par le pouvoir. Des empires et de la splendeur se construisent sur la pire des infamies.

La beauté (instrument de pouvoir?) est au centre des recherches de Wole Lagunju. Dans une interview à Foreign Agent (sept. 2020), il l’explique ainsi : « Le concept de beauté, ou «ewa», dans la tradition et la culture yoruba a des connotations métaphysiques et spirituelles qui diffèrent de la croyance occidentale. » Les différences existent, mais les points communs aussi et l’embellissement se retrouve une fois encore dans cette nouvelle série.

« Je ré-contextualise les images des médias de masse, en incluant les masques Yoruba Gelede, la mode, les mannequins et les costumes vintage de différentes époques. »

Cette fois, il s’intéresse à la modernité et là encore le télescopage nourrit de multiples échappées. A plusieurs reprises, Wole a avoué voir dans la mode une expression artistique remarquable. « L’élégance est au cœur de mon travail, car j’adore l’embellissement et le travail des créateurs de mode, auquel j’aspirais à l’école d’art », explique-t-il. Il va donc se servir de la tenue, de la même façon qu’un styliste, en habillant de manière complexe, onirique, décalée, des modèles représentatifs de la société occidentale. Des jeunes gens, des teenagers, jeune cadres souriants, le visage parfois caché par un masque, et qui partent à la conquête du monde.

« Je ré-contextualise les images des médias de masse, en incluant les masques Yoruba Gelede, la mode, les mannequins et les costumes vintage de différentes époques. » L’utilisation du numérique lui permet ensuite une grande souplesse, en jouant sur des gammes de couleurs en complet décalage, les unes avec les autres. Un collage, à l’intérieur même du collage, comme une eau qui mélange les essences, moitié kérosène, moitié jasmin. C’est indéniable beau, d’une incohérence parfaite et la cible est atteinte. A savoir le portrait d’une époque ambiguë, qui oublie l’heure exacte et descend de son avion en plein vol.

L’Amérique, loin de la vie communautaire yoruba et de principes de l’ori et de la destinée.

On peut espérer que ces tableaux seront rapidement visibles à Paris, sans doute par le biais de la galerie Aude Minard. Le Covid, explique-t-il, lui a permis, à de nombreux autres artistes, une importante production. A l’inverse, la période a certainement renforcé un peu plus encore la solitude. C’est l’un des points sur lequel il insiste quand il parle de sa vie en Amérique. L’ennui qui résulte, loin de toute vie communautaire, dans un monde « régi par le sexe, la drogue, la violence… Je veux vivre comme un Yoruba, dans les concepts Yoruba, de « ori », la destinée et « omoluwabi », le bon caractère. » La peinture est là qui rappelle en permanence ces concepts. Hélas de manière virtuelle.

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RC (ZO mag’)
Photos : © W. Lagunju and by courtesy Ed Cross Gallery, Londres (GB)
https://www.edcrossfineart.com/artists/34-wole-lagunju/works/

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