C’est un regard singulier que Désirée Roua porte sur la création africaine et les perspectives qui s’offrent à elle. « Nous devons cesser de faire de l’art pour les Occidentaux », dit-elle. Une affirmation identitaire forte, hors des conventions esthétiques habituelles. Peu importe que ça plaise ou non, l’Afrique reconnaîtra les siens. Les exigences du marché pèsent trop lourdement sur l’authenticité des œuvres, juge la galeriste et organisatrice de festival. Il faut cette fois se tourner vers le Continent et lui donner l’art qui est le sien. Interview réalisée au Sénégal.
Difficile en ce moment de vous avoir. Pas absente non, disons occupée…
(sourire) Depuis le 28 novembre, je suis au Sénégal, à Kaolack dans le cadre du Festival international pour l’Éveil des consciences de la jeunesse ouest-africaine. C’est un appel à rester dans nos pays et d’y réussir. Le festival propose des rencontres autour de l’immigration, des formations pour les acteurs culturels, sur des thèmes comme la monétisation ou les droits d’auteurs. L’exposition va conclure le festival qui se termine le 16… Nous venons de la monter aujourd’hui. Demain vernissage, avec en plus une performance de l’artiste ivoirien Jean-Baptiste Djeka… sur l’immigration clandestine et ce qu’elle occasionne de morts.
Vous avez un parcours étonnant. Votre travail couvre aussi bien le milieu associatif, l’accompagnement d’artistes, la tenue d’une galerie. Tout ça commence de quelle façon ?
C’est très personnel en fait. Pendant pas mal de temps, j’ai posé pour mon compagnon. Ce qui m’a beaucoup plu. Cette dualité muse-artiste a été un déclencheur pour moi. Mais aussi, une occasion de voir l’envers de la toile. Par exemple de voir la frustration lorsqu’ils ne sont pas satisfaits, le désespoir quand rien ne ressort dans la peinture ou la sculpture… Ou à l’inverse, la jouissance quand l’inspiration est là, que le burin, la couleur, le coup de pinceau, tout s’harmonise.

Et la galerie s’inscrit dans la même intimité…
Je voulais rester très proche du processus de création. Avec certains artistes, que j’accueille chez moi, je suis en immersion… Apollinaire a fait de la terrasse de ma chambre son atelier pour continuer à travailler. Je suis curieuse, je regarde, il y a une réelle intimité qui s’est créée. Au point que certains d’entre eux, comme Apollinaire, Sylvestre Bruly Bouabré ou Cazsi, travaillent avec moi sur les festivals que je monte. En tous cas, le petit nombre d’artistes que je représente dans la galerie virtuelle ne sont pas là par hasard. Il y a une relation forte, du respect pour la démarche et du respect aussi pour les personnes.
« Je ne cherche pas pas à proposer ce que les Européens pourraient aimer, mais je tente de leur présenter des artistes africains qui ont une démarche artistique totalement décomplexée, engagée, qui s’appuie sur un propos. »
Vous dites aussi que vous prenez maintenant un peu de distance avec la galerie ?
J’ai géré une galerie d’art pendant trois ans avec un collectif d’artistes. Voilà… Maintenant je vois les choses différemment. Plus près de la création sans doute. Mon objectif serait d’ouvrir une résidence d’artiste en Côte d’Ivoire , à Grand-Bassam, un lieu de réflexion, de création, d’échange et d’accompagnement de projets. Je veux aussi réfléchir sur du soutien, par exemple une bourse à la création et à la sauvegarde des cultures traditionnelles. L’association « Désir d’Art Afrique Focus » et travaille en partenariat avec d’autres associations culturelles africaines. C’est un autre aspect du travail. Plus engagé dans la réalité locale.
Les choses sont-elle en train de bouger avec l’Afrique ? Vous sentez une sensibilité croissante à l’art ?
Des artistes, il y en à toujours eu en Afrique et ça bouge depuis longtemps, mais il faut organiser et que les États s’engagent. Que l’on considère désormais la culture pour ce qu’elle est , à savoir un possible vecteur économique. A côté de ça, on doit mettre sur pieds des structures culturelles à l’image de la France, aller jusqu’au bout du copié-collé en prenant les choses qui fonctionnent. Ce n’est pas une question d’achats, mais de lieux, d’évènements… Les achats viennent ensuite.
Quelle idée les artistes africains ont de l’Europe ? Je veux dire des potentialités qui s’ouvrent ou pas ?
Les artistes professionnels avec lesquels je travaille ont une idée très claire de l’état du marché en France, en Europe ou aux États Unis. Pour vivre de leur art, ils travaillent beaucoup toute l’année et cherchent une visibilité maximale. Pour ceux qui ignorent le milieu des salons et galeries et qui ne vivent pas encore de leur art, il faut le dire, la désillusion risque d’être grande. Je veux leur dire que ce sera compliqué de trouver des lieux en France, que les salons sont payants et coûte une fortune. Par exemple de leur dire que les artistes européens délaissent ces rendez-vous comme canaux de diffusion.

Vous avez une anecdote plutôt curieuse sur les rapports entre artistes africains et institutions françaises. Le dialogue n’est pas toujours évident…
Sans doute un peu de mal à communiquer. Ça se passe à Bordeaux. J’ai organisé une résidence dans un lieu assez génial, une friche rénovée qui abrite une galerie et des ateliers en location pour les artiste. Le type d’endroit que l’on rêve de gérer ! Seulement, là, c’est la relation humaine qui ne fonctionne pas. L’artiste, il s’agit de Apollinaire Guidimbaye, voulait faire un travail sur les bouchons. On est à Bordeaux et comme il travaille la récupération, son idée est d’aller dans une déchetterie et de voir ce qu’il peut trouver. Veto ! En remplacement, on pense donc à monter une scénographie… à nos frais. France 24 nous avait fait un reportage, la diaspora était informée. Très bien, à ce détail près qu’à part eux et le personnel du lieu, aucun Bordelais n’est venu. Les ventes se sont faites avec la diaspora. Apollinaire n’a pas terminé son œuvre. Très décevant.
Que suggérez-vous alors ?
Ça ne concerne peut-être que moi (sourire)… je ne cherche pas pas à proposer ce que les Européens pourraient aimer, mais je tente de leur présenter des artistes africains qui ont une démarche artistique totalement décomplexée, engagée, qui s’appuie sur un propos. Je choisis de travailler ainsi avec un petit nombre. Ce sont des créateurs « ancrés », sûr de leurs gestes artistique, avec déjà une forte identité culturelle. Qu’il s’agisse de Apollinaire Guidimbaye, de Cazsi ou de Cédric (Sungo), j’ai vraiment fonctionné sur coup de cœur, comme je vous l’expliquait avant. La démarche, la personnalité et l’œuvre.
Recueilli par Roger Calmé
Photos : ©Désirée Roua
Cofondatrice de l’association Désir d’Art Afrique Focus
Initiatrice du festival Africa Culture
Fondatrice de Philia Galerie
63, rue Raymond Poincaré 33110 Le Bouscat.
galerie.philia33@gmail.com
Tél. : 06 62 90 79 71
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