La peinture populaire congolaise a cette habitude de tendre ses pièges… dans la bonne humeur. On regarde quelque chose et c’est à l’autre bout qu’il faudrait s’intéresser. Bien sûr, il y a la rumba et des filles pleines de rire, et des sapeurs remplis de certitudes… La rue est toute joyeuse et les demoiselles sont belles comme le jour. Mais est-ce vraiment l’essentiel ?
Winnart Nsangu appartient à la dernière génération de ces mystificateurs de la couleur. Sur ce point, il est un virtuose dépositaire. Ses filles sont conformes à l’habitude. Ses mecs ont un pêchon vert, jaune et grenadine. Technicien hors pair, formé danss des atelierss de peinture publicitaire, mais pas seulement. Dans cet étalage de la clarté, circule une pensée autrement plus critique. C’est du côté de la ville, au quotidien que Winnart Nsangu regarde. Avant d’être artiste, Winnart était électricien, ou s’apprêtait à le devenir. Il a gardé pour la vie courante une polarité active. La rue, les comportements, l’envie, l’amnésie sociale le passionnent. Et s’il traite tout ça avec le sourire…
« Notre société kinoise a de vrais problèmes. Et ce sont nos esprits qui ont attrapé le mauvais virus. Pourquoi avons-nous perdu tous nos repères ? Pourquoi nous n’avons plus aucune confiance en nous-mêmes, dans notre propre histoire ? Ce qui était avant notre force, nos fondations, pfff…» Et de demander dans ses toiles que les Africains retrouvent enfin « fierté et dignité ». Accrochée à son téléphone, la fille éclate de rire et n’entend rien de ce qu’il dit. Ce n’est pas son affaire. Une fille étrange, qui n’a pas de nez, pas de regard, juste des dents qui rient aux éclats.
« C’est le temps des faux seins, des faux derrières, des faux cheveux, des fausses illusions, tout est faux et on y croit. »
Le voilà donc, dans la toile interrogative qui pose les questions du simulacre et de l’inertie. Des visages sans face et sans âme, mais claquants de sourire, des parades permanentes, le culte absolu des faussaires. Comme il le dit bien fort : « C’est le temps des faux seins, des faux derrières, des faux cheveux, des fausses illusions, tout est faux et on y croit. » Il ne fait aucune morale, il ne donne aucun conseil, juste il peint. Dans ses brouettes remplis de masques, il souhaite le retour de la culture, mais il veut aussi que celle-ci soit accessible. Et pour cela, il demande au peintre de s’impliquer dans le quotidien, qu’il aide et accompagne. L’atelier doit rester collectif et la porte ouverte.

Il y a quelques mois, Winnart Nsangu décrochait en France le prix Arbustes, dédié aux jeunes artistes émergents. Le tableau retenu s’appelait « L’Identité finale ». Il traite d’un jeune peintre, dans une mascarade italienne, qui s’interroge sur le masque qu’il devra porter. Quel personnage devenir ? Car c’est toujours d’identité dont il est question. L’identité d’un peuple, son histoire, la vie d’un peintre, son vrai visage, le choix d’un chemin, l’ombre ou la lumière ?
Roger Calmé (ZO mag’)
Biographie
Winnart Nsangu est originaire de Kinshasa (né le 27 février 1993), issu d’une famille de huit enfants dont il est le quatrième. Au départ, si ce n’est de sérieuses prédispositions au dessin, rien ne laisse penser qu’il va s’engager dans un métier artistique. D’ailleurs, il suit des études d’électricien, une branche dont il obtient le diplôme en 2010.
Virage radical l’année suivante, il fonde avec plusieurs camarades un premier groupe, les Aigles d’art. Nombre de ses participants, comme Winnart lui-même, fréquentent des ateliers d’artistes connus. Auprès de Danny Maluku et de Djanny Mbela Ngalama, Winnart a suivi ses premiers cours (2012). D’autres « maîtres de la peinture populaire » lui ouvriront ensuite leurs portes : Alphi-Alpha (2013), Landry Mulala (2013-2017), élève de Chéri Chérin… La même année 2017, il fonde avec son ami Francesco Sunda, le collectif Kipelo. Ce qui se traduit en lingala par « miroir», titre manifeste, en somme.
Cette solide formation à l’atelier lui permet d’obtenir en 2018 un prix honorifique de jeune peintre d’avenir. Sa première exposition date de l’année suivante, à l’hôtel Pullman de Kinshasa (2019).
L’année 2020 lui vaut une reconnaissance plus large. Des expositions à Kinshasa, mais aussi à l’étranger (Paris), se succèdent. Une présentation virtuelle de son travail est montée (artcom expo international) et il participe à une collective au Musée national du Congo. Son travail est également exposé au Salon international d’arts plastiques Jeunes Talents (Mantes-la-Jolie). Sa toile « L’Identité finale » obtient le premier prix « Arbustes ». Il est également retenu pour Hakili la Kunu (Eveiller l’esprit), collective qui rassemble des artistes congolais à Châteaudun.
Cette année 2020 voit également sa participation à Kinshasa à l’exposition (urbaine et itinérante) « Biso pe Toza », laquelle regroupe les principaux artistes visuels du Congo.
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