Avant que la forme soit, il y a des paroles qui s’échangent. Ou des gestes. L’homme et le bois se parlent. Ce n’est pas une conversation nouvelle. Partout, il en est ainsi. Donc l’arbre parle à Jean-Servais Somian, à moins que ce ne soit le contraire. C’est amusant, parce que l’homme et l’arbre sont un peu bâtis de la même façon, tout en longueur. Il y a beaucoup d’analogies entre eux. Parfois, c’est l’arbre qui est posé sur la savane et observe le troupeau, ou la venue de la pluie.
Il y a 20 ans, Jean-Servais apprenait le travail du bois à Grand-Bassam, auprès d’un ébéniste d’origine libanaise, Georges Ghandour, et un vieil artisan, descendant d’une famille de sculpteurs royaux, lui montre le cocotier. Immense, penché dans le vent, lumineux. « 𝘊’𝘦𝘴𝘵 𝘶𝘯𝘦 𝘧𝘰𝘳𝘤𝘦 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘯𝘢𝘵𝘶𝘳𝘦. 𝘐𝘭 𝘮𝘦 𝘧𝘢𝘪𝘵 𝘱𝘦𝘯𝘴𝘦𝘳 𝘢̀ 𝘭𝘢 𝘷𝘪𝘦. 𝘐𝘭 𝘱𝘦𝘶𝘵 𝘵𝘦𝘯𝘥𝘳𝘦, 𝘥𝘶𝘳, 𝘵𝘳𝘦̀𝘴 𝘥𝘦𝘯𝘴𝘦, 𝘧𝘳𝘢𝘨𝘪𝘭𝘦 𝘢𝘶𝘴𝘴𝘪. » Depuis, l’homme et l’arbre conversent ensemble.
Quand il se souvient de ces années, Jean-Servais parle effectivement de ce dialogue de la matière. « 𝘑’𝘢𝘪𝘮𝘦 𝘴𝘰𝘯 𝘤𝘰𝘯𝘵𝘢𝘤𝘵. 𝘑𝘦 𝘯’𝘦́𝘵𝘢𝘪𝘴 𝘱𝘢𝘴 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘦 𝘥𝘦𝘴𝘪𝘨𝘯, 𝘫𝘦 𝘧𝘢𝘪𝘴𝘢𝘪𝘴 𝘥𝘦𝘴 𝘮𝘦𝘶𝘣𝘭𝘦𝘴 𝘴𝘪𝘮𝘱𝘭𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵, 𝘮𝘢𝘪𝘴 𝘫’𝘢𝘪𝘮𝘢𝘪𝘴 𝘮𝘦𝘵𝘵𝘳𝘦 𝘮𝘦𝘴 𝘮𝘢𝘪𝘯𝘴 𝘥𝘦𝘴𝘴𝘶𝘴 𝘦𝘵 𝘱𝘶𝘪𝘴 𝘭𝘦 𝘤𝘪𝘳𝘦𝘳. A l’époque, o𝘯 𝘤𝘪𝘳𝘢𝘪𝘵 𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘭𝘦 𝘤𝘪𝘳𝘢𝘨𝘦 𝘢̀ 𝘤𝘩𝘢𝘶𝘴𝘴𝘶𝘳𝘦𝘴. » C’est à Paris, dans les années 95, qu’il découvre la cire d’abeille. Les gestes sont restés. Ils font, eux aussi, partie de son vocabulaire.
Les pièces d’aujourd’hui sont les témoins de cette longue histoire. Des meubles étagères dressés comme des sentinelles, des meubles-pirogues, ramenés des bords du fleuve, vieilles barques reconverties en méridiennes, des sièges aussi qui rappellent la bassine, cet objet très cher à son vocabulaire et son humanité. Un jour, il rendra hommage à ce récipient ordinaire et essentiel, aux millions de litres, des mers entières que les femmes portent ainsi, entre le point d’eau et la maison.
Un jour, en 2002, Jean-Servais est venu à Saint-Étienne, à la Biennale internationale du design. « 𝘑’𝘢𝘪 𝘷𝘶 𝘭𝘦𝘴 𝘮𝘦𝘶𝘣𝘭𝘦𝘴 𝘥𝘦 𝘚𝘵𝘢𝘳𝘬, 𝘭’𝘦𝘹𝘪𝘨𝘦𝘯𝘤𝘦 𝘧𝘰𝘭𝘭𝘦 𝘲𝘶𝘦 𝘤𝘦𝘭𝘢 𝘥𝘦𝘮𝘢𝘯𝘥𝘦𝘳𝘢𝘪𝘵. 𝘑’𝘢𝘪 𝘦𝘶 𝘱𝘦𝘶𝘳, 𝘦𝘵 𝘫’𝘢𝘪 𝘤𝘰𝘮𝘱𝘳𝘪𝘴 𝘢𝘶𝘴𝘴𝘪 𝘤𝘦 𝘲𝘶𝘦 𝘤𝘦 𝘴𝘦𝘳𝘢𝘪𝘵 𝘵𝘳𝘦̀𝘴 𝘭𝘰𝘯𝘨. » A cette époque déjà, il fabriquait ses meubles entre Bassam et la France. Interculturalité ? Pour partie, dialogue nomade aussi.
Un critique d’art ivoirien, Franck Hermann Ekra, a dit « 𝘑𝘦𝘢𝘯 𝘚𝘦𝘳𝘷𝘢𝘪𝘴 𝘚𝘰𝘮𝘪𝘢𝘯 𝘳𝘦𝘯𝘰𝘶𝘷𝘦𝘭𝘭𝘦 𝘭𝘦 𝘤𝘩𝘢𝘮𝘱 𝘥𝘶 𝘥𝘦𝘴𝘪𝘨𝘯 (…). 𝘚𝘢 𝘧𝘢𝘤𝘵𝘶𝘳𝘦 𝘧𝘢𝘪𝘵 𝘧𝘶𝘴𝘪𝘰𝘯𝘯𝘦𝘳 𝘭𝘦𝘴 𝘩𝘰𝘳𝘪𝘻𝘰𝘯𝘴 𝘨𝘦́𝘰𝘨𝘳𝘢𝘱𝘩𝘪𝘲𝘶𝘦𝘴 𝘦𝘵 𝘵𝘦𝘮𝘱𝘰𝘳𝘦𝘭𝘴. » Pour apprivoiser le grand cocotier, qui regarde la mer, qui regarde la lagune, Jean-Servais a créé des outils, et puis des mots aussi. Ses meubles sont des arbres, debout ou couchés. La pirogue glisse du rivage au salon. Elle est repeinte et sa coque sonne comme un tambour de couleur.

Roger Calmé (ABA mag’)
Photos : © Jean-Servais Somian
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