Dans les mois prochains, une trentaine d’œuvres d’art devaient être restitués par la France au Bénin. Une nouvelle dynamique des relations culturelles qui se concrétisait. En juillet dernier, un premier projet de loi de restitution, sujet controversé, était présenté en conseil des ministres. L’impulsion avait été donnée en 2017 par le président de la République. « Un engagement très fort pris (…) pour que la jeunesse africaine ait la possibilité d’accéder à son patrimoine, à son histoire, en Afrique » remarquait alors le porte-parole gouvernemental.
« On ne se bat pas pour un trône ou des sceptres. On se bat pour notre mémoire et notre histoire. »
Un dossier que l’historienne de l’art d’origine béninoise, Marie-Cécile Zinsou, suit depuis de nombreuses années: « Cela va mettre certaines personnes très en colère », note-t-elle. « Mais quand l’Histoire avance cela ne se fait jamais avec l’approbation de tous ». En tous cas, relève cette spécialiste,
En 1892, les troupes françaises mettent à sac le palais des rois d’Abomey. Vingt-six pièces d’art prennent alors le bateau pour les collections françaises. Elles étaient jusqu’ici exposées au quai Branly-Jacques Chirac. Retour donc au Bénin où elles seront exposées dans un lieu public, dans un délai maximal d’un an. Il doit en être de même pour plusieurs œuvres au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

Rendu public en novembre 2018 le rapport Savoy-Sarr a provoqué dans l’Europe toute entière une véritable onde de choc. Les deux auteurs, l’historienne Bénédicte Savoy et l’économiste et écrivain sénégalais Felwine Saar plaident alors pour une restitution immédiate des œuvres, pillages de guerres et collectes des ethnologues. La satisfaction des Africains est unanime. L’inquiétude des musées et des collectionneurs privés en Europe monte d’un cran.
Pour les responsables africains, il est évident que ce retour fait figure d’obligation. « Quatre vingt dix du patrimoine africain se trouve dans l’Hexagone. L’Afrique subsaharienne est l’une des régions du monde qui ont subi l’expatriation la plus massive de son patrimoine,explique Felwine Saar à l’Express. (…). Qu’un tel constat soulève tant d’affect et de passion montre à quel point le travail sur l’Histoire reste à faire. »
Les collectionneurs et les conservateurs de musée émettent un tout autre avis. Apparemment, ils ne s’opposent pas à un retour (progressif et limité), mais ils s’inquiètent de la capacité des pays à accueillir ces collections. « On nous objecte qu’il n’y aurait pas de musées en Afrique ni de compétences, que le patrimoine y serait en péril (…), que le colonisateur les aurait sauvées. Bref, une remise en question du geste de spoliation, assorti de propos relevant de la condescendance et du paternalisme, » poursuit le co-auteur du rapport.

Effectivement, s’il n’apporte pas les mêmes réponses selon les pays, ce retour ne se fait pas sans une réflexion des deux parties. Il n’empêche que l’impression reste d’un lobbying anti-retour. Et que celui-ci s’appuie (à répétition) sur des exemples regrettables comme la disparition des œuvres rendues par la Belgique à la RDC, à l’époque de Mobutu. Mais les conditions ne sont plus les mêmes, s’insurge-t-on sur le Continent. Des musées voient le jour, des politiques d’éducation et de réappropriation se dessinent.
« Les objets, on ne veut pas les avoir pour les avoir. Il nous faut des projets d’appropriation de notre patrimoine. » Alain Godonou, responsable des questions du patrimoine.
A Kinshasa (RD Congo), la Corée du sud a livré en 2018 le tout nouveau Musée national. Cette construction, d’un coût de 66 millions d’euros, vient d’ouvrir ses portes et doit accueillir 45 000 pièces patrimoniales, entreposées depuis 1970 dans des hangars sur le mont Ngaliema. Ce sont ces exemples et d’autres encore que les acteurs africains opposent désormais.

L’accueil des œuvres s’est donc retrouvé au centre de la réflexion. Les réponses sont dans de nombreux cas à la hauteur du projet. A Abidjan, le nouveau musée des civilisations se dit prêt. Il devrait en être de même à Libreville, où doit être livré un musée national flambant neuf.
« Quand le pays a voulu rendre des objets à la Chine ou à l’Algérie, il ne s’est pas embarrassé de ces questions. C’est purement une affaire de rapport des forces. »
« Les objets, on ne veut pas les avoir pour les avoir« , expliquait en 2018 Alain Godonou, responsable des questions du patrimoine pour la nouvelle agence nationale de promotion du tourisme du Bénin. « Il nous faut des projets d’appropriation de notre patrimoine ; ». Des programmes éducatifs seront menés, et la réhabilitation des musées conduite au travers de toute l’Afrique. Pour Ousmane Aledji, chargé du patrimoine pour la présidence béninoise, « nous ne sommes pas dans la réclamation violente, mais nous voulons mettre en place des mesures d’accompagnement pour des restitutions progressives ».
Pourtant, malgré ce dialogue, les choses n’avancent plus. Pour Olivier Marbaud (Jeune Afrique), « les annonces présidentielles se sont heurtées à la résistance farouche de nombreux conservateurs de musées qui (…) « ne connaissent qu’une logique : tout rentre, rien ne sort »
Ce lobbying que dénonçait le co-auteur du rapport Savoy-Sarr semble fonctionner. Les promesses de Macron sont restées lettres mortes, enlisées dans des procédures juridiques. En décembre 2019, le ministre de la Culture, Franck Riester avait à nouveau répété qu’au plus tard en 2021 les vingt-six objets issus du pillage d’Abomey seraient restitués. L’imbroglio juridique a jeté sur tout ça un épais brouillard. La presse ne dit plus rien ou si peu. D’autres actualités plus urgentes tiennent l’actu. Pour l’avocat Emmanuel Pierrat, le discours de Ouagadougou était « intéressant, mais il tombait dans la démagogie. Le conseiller qui a écrit son discours s’était senti pousser des ailes. »
Aujourd’hui, la commission qui devait s’occuper de la déclassification des œuvres, procédure obligée… a été dissoute. Manque de crédits, gestion d’amateurs, relais juridique inexistant. Les œuvres restent à Paris (et ailleurs) bien au chaud ! La presse se tait. Le ministère de la Culture aussi.
Comme le disait avec réalisme Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France : « Quand le pays a voulu rendre des objets à la Chine ou à l’Algérie, il ne s’est pas embarrassé de ces questions. C’est purement une affaire de rapport des forces. »
Roger Calmé (ZO Mag’)
Photo DR

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