Un jour, Frida Orupabo s’est rendue compte qu’elle était nigériane. Si on écrit ainsi la phrase, elle va sembler grotesque. Et pourtant, il y a une sorte de révélation quand cette artiste norvégienne prend conscience de son appartenance et de ce qu’elle recèle d’épaisseurs multiples. A son enfance européenne, une nouvelle dimension s’ajoute, et dont il faut reconnaître le cours.
Sa formation de sociologue, en parallèle à son travail de plasticienne, génère depuis 2013 un travail assez considérable. En cherchant de façon inlassable dans les entrailles du web, elle ramène par milliers des images de mémoire, de soumission et de révolte, des éléments arrachés à l’oubli, à la colère, et qui font la réalité d’une vie (ou d’une société). En les associant sous forme de photomontages, mais en développant aussi en parallèle un compte Instagram, elle alimente ainsi un réservoir nourricier et mémorial.
« … parce que la couleur risquerait encore de brouiller les pistes et d’ajouter de l’ambiguïté »




Le Nigeria qu’elle avait oublié, sans l’avoir jamais connu, retrouve une épaisseur géologique et émotionnelle. Dans un traitement noir et blanc , « parce que la couleur risquerait encore de brouiller les pistes et d’ajouter de l’ambiguïté », elle ouvre ses propres interprétations. Des oiseaux sombres passent, mais il ne sont pas toujours synonyme de mort. Elle dit penser à Chagall, elle avoue aussi que le cauchemar n’est jamais loin. D’ailleurs, l’une de ses expo porte ce nom : « Medecine for a nightmare »
Les notions de race, la construction du genre, la dégradation des corps noirs en général et des femmes en particulier, la violence et la douleur, la soumission sexuelle, familiale, coloniale sont en permanence abordés. Ce sont des points de dialogue essentiels. La raison pour laquelle, Frida Orupabo a ouvert ce compte Instagram, @niemepeba, suivi par près de 10 000 abonnés. Le dialogue.
« Vous ne devriez pas être à l’aise avec mon travail, mais plutôt être poussé à une conversation avec les personnages, même si vous ne les aimez pas esthétiquement. C’est la chose la plus importante. Le fait que je crée des sujets capables de regarder en arrière. » Parfois ce sont des oiseaux très noirs qui passent. Ils ne sont pas effrayants, simplement ils existent, et il est bon de les entendre croasser. Ils sont le mouvement sombre qui dit l’ampleur du temps et du gouffre. Parfois, le printemps sort de leur bec.

Roger Calmé (ZO Mag’)
Photos : © Frida Orupabo
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