Il arrive que l’atelier devienne comme une caisse de résonance. Les avions passent trop bas, la faim tenaille la rue, les épidémies déciment la population et la toile capte ces secousses sismiques. Sur son appareil d’enregistrement, Manuel Mathieu traduit en traits et en couleurs le chaos répété. Derniers en date, janvier 2020, l’Australie qui brûle, Trump qui aiguise ses bombardiers, Téhéran prêt à l’accouplement. « Faire de l’art avec le même sentiment d’urgence que le monde est en train de s’auto-détruire ». A cette époque encore, le virus ne s’est pas présenté au guichet d’embarquement. Dans quelques heures, les périmètres intimes seront sous haute surveillance. Il suffit de le savoir, au moment où la chair est corrompue. Que de cette blessure, aucun corps ne se relève.
Violente, la peinture de Manuel Mathieu l’est de façon continue. Ça tient à sa vie dirait-on simplement.

Il est né au moment où le fils de Duvalier fuyait Haïti, au moment de la délivrance en même temps que des affections chroniques. Politiques incapables, maladies résiduelles. Mais il se bat comme un diable vaudou contre cette image avilissante d’une île croupissante dans le sordide. Et de se rappeler sans doute ce que Malraux disait : « Haïti, seul peuple de peintres ». L’île des Saints soleils et dont l’écrivain écrit : « Il n’est pas courant de rencontrer une peinture dont on ne décèle ni d’où elle vient ni à qui elle parle », parlant de son extrême liberté.
Depuis quelques temps, Mathieu peint des toiles gigantesques, emplies de lumière liquide et marine. En résidence dans un château allemand, près de Stuttgart, la production était intense. Moins de couleurs, des bleus apaisants, mais le culte aussi, l’incantation qui sort. « Je suis en train de diminuer des éléments pour aller au fond des choses. J’ai aussi décidé de ne pas créer avec ma tête, mais avec mon intuition, mon corps, mes gestes. » Oublier sa tête et une façon de « lire » la peinture comme les Occidentaux, pour plonger dans la magie et la spiritualité. Lors d’une interview au magazine anglais Frieze, il parle de ces peintres paysans, autodidactes qui lient le vaudou et la toile. Mathieu est Haïtien. C’est dans les racines du pinceau.

R. Calmé (ZO Mag’)
Photos © Manuel Mathieu
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