Quel rapport peut-il y avoir entre l’Égypte et les quartiers sud de L.A ? Il faudra demander à Lauren Hasley. La plasticienne saute par-dessus les millénaires. Jumelage psychédélique. Avec elle, les enfants du ghetto redeviennent pharaons. Retour aux sources de l’histoire.
Une nuit, Lauren Hasley s’est assise sur les bords du Nil. Il faisait un temps assez sympa. Les crocos gazouillaient et dans ses écouteurs, la jeune plasticienne écoutait un opus seventies de Sly and the Family Stone. Fiction ? Juste un peu. Disons que ça se passait dans un quartier black de L.A. Et là, le principe lui apparut clairement. «Mon rêve était d’aller voir les pyramides. J’ai hérité des mythes autour de l’Égypte ancienne par mon père, passionné de certaines dynasties. Mais aussi des groupes de musique, comme Sun Ra et le Parlement-Funkadelic. Pour eux, le siège de la culture noire américaine est sur le Nil.» Ce qui peut poser une véritable difficulté géographique. Guiseh n’est pas la porte à côté. D’où cette idée très raisonnable de construire une projection émotionnelle de la vallée mythique. Les Égyptiens avaient Assouan et le Sphinx, nous aurons Crenshaw et l’archéologie de « Kingdom Splurge ». Egypte ancienne ? Yes man ! Mais aussi Amérique contemporaine. Filiation évidente. Simplement déplacement spatio-temporel.
Sur une série de bas-reliefs, Lauren H. figure donc la culture afro, nourrie de soucoupes volantes, de montagnes mystiques et de cavalières funky. Ça s’appelle « Hieroglyphs », et l’installation de 2015 se fait au-travers du quartier, avec la participation de ses habitants.



« Il est nécessaire que nous, les résidents de South Central LA, écrivions nos propres histoires. »
Participative. Lauren Hasley ne travaille pas en solo narcissique. Ses créations se nourrissent à la proximité du quartier. Au sens le plus exact du terme, c’est à dire la mise en place d’un chantier créatif dans lequel il est possible d’apporter un geste, un élément constructif, une image de soi. Et ce n’est pas seulement une façon « Il est nécessaire que nous, les résidents de South Central LA, écrivions nos propres histoires. » En clair, nous avons une mémoire, une énergie, et nous ne laisserons à personne le soin de la transcrire. Le public, qui est donc participant, s’associe aux œuvres de la plasticienne. Elle travaille sur ses matériaux de récupération, des objets préfabriqués et détournés, tandis que les fils du ghetto dessinent sur ses murs leurs dieux et les mots. Appropriation.
Aux origines même de la mémoire et de la paléontologie black
Plusieurs fois récompensé, ce travail trouve un prolongement naturel dans son nouveau projet « Open Space », débuté en 2018. On reste dans la pierre (Mathieu 16, verset 18), et sur cette pierre elle continue de bâtir un royaume. Cette fois, plongeons dans le « tectonique culturel », aux origines même de la mémoire et de la paléontologie black. Ces modules géologiques (Funk Mound) recèle des cristaux spacio-temporaires, témoins rupestres de la vie dans South Central L.A. Installée au Musée d’art contemporain (MOCA), cette succession de grottes remonte à la racine, le jet de pierre initial. Présenté à Paris par la Fondation Luis Vuitton (mai-septembre 2019), cette gigantesque installation tenait à la fois du manifeste politique et de déclaration ésotérique. La Californie en particulier, et ses deux centres que sont Los Angeles et Berkeley (San Francisco) se situent à la rencontre des plaques. Prononcez aujourd’hui encore le nom de Fred Hampton, de Malcom X, Bobby Seale, Huey P. Newton, laissez monter les tempos de Dr Funkenstein, Mr Wiggles, le “Supreme Maggot Minister Of Funkadelia”, et vous sentirez la terre trembler dans le fond des cœurs.

(…) J’en suis fière. J’en fais partie. Je me sens donc obligé de défier les forces oppressives ici à travers mon travail. «
Enfant, Lauren rêvait de devenir athlète professionnelle. C’était avant les hiéroglyphes et la Fondation Louis Vuitton, avant les récompenses à New-York… Spécialiste du 100 et 200 m. Carlos et Smith (*) au-dessus de son lit. Mythologies !
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos DR
DANS LES RUES DE L.A
» Je viens d’ici. Les deux côtés de ma famille sont là depuis la Grande Migration. Nous investissons à Los Angeles, en particulier au centre-sud de la ville, depuis des décennies, à la fois collectivement en tant qu’unité familiale, et en tant qu’individus appartenant à diverses communautés de la ville. Ma grand-mère et ses six frères et sœurs (…) pendant l’âge du jazz, le travail de mon père avec les enfants du parc local en tant qu’entraîneur, tuteur et mentor, ou l’activisme contre la ségrégation de mes cousins: nous avons tous ont contribué à LA.
(…) J’en suis fière. J’en fais partie. Je me sens donc obligé de défier les forces oppressives ici à travers mon travail. «
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