Sandrine Plante-Rougeol / Du fond de la nuit et de la terre

Jamais cette mémoire ne peut s’éteindre. La terre s’ouvre et se remet en mouvement. Les visages reviennent. Les mains se tendent. Sandrine Plante-Rougeol sculpte les vies volées, les vies réduites, enchaînées et peut-être retrouvées.

Ce sont bien sûr des coïncidences. Elle habite en France une terre de volcans et ses origines sont aussi, dans le lointain océan, nourries de lave et de pitons. Le volcan est une matière créatrice, féconde de dialogues minéraux. La sculpture appartient à ce même vocabulaire. La terre ou la lave, qui façonne, selon des forces impossibles à définir. Venues des profondeurs. La terre, comme la mémoire. Sandrine Plante-Rougeol travaille dans la terre et le feu les visages oubliés de l’esclavage.

« Tant qu’ils viendront me voir, je vais continuer à faire ces sculptures. Peut-être que ce travail est nécessaire, qu’il leur redonne cette liberté qu’on leur a volée, cette vie qui a été prise et massacrée, par l’esclavage. » Il y a 25 ans que cette relation s’est nouée. Des forces, des visages venus de très loin, parfois des profondeurs de l’océan, ou des profondeurs de la plantation. Ce qui participe de la même obscurité. « Il n’y a presque rien qui témoigne du vécu personnel de ces vies. Ces vies n’ont pas de noms, juste le nom que le négrier a donné, elles n’ont aucune date. On ne sait pas d’où elles viennent… Ma sculpture peut leur donner une sorte de traçabilité. Du moins je le pense. De leur apporter un peu d’apaisement. » Alors Sandrine Plante-Rougeol remet la terre en mouvement. Venus des profondeurs du temps, remontent les visages.

La terre rendue à la terre
Le commencement de cette histoire, elle l’explique très simplement. De cette façon, les choses sont arrivées. « La nuit, des visages ont commencé à venir me voir. Un homme dans un cachot, une femme devant un bateau. Une vieille qui a perdu ses enfants, qui est seule sur un rivage, un bateau, des corps, pas de mots… » Ca devenait une sorte d’évidence, comme un dialogue qui se fait. Silencieux mais permanent. Sculpter redonnait la vie, ou du moins l’identité de la vie. Comme si la terre travaillée permettrait d’arrêter cette errance.

Une fois l’œuvre terminée, Sandrine Plante-Rougeol l’enterrait au jardin. La terre rendue à la terre. Vingt-cinq ans pendant lesquels, elle n’a cessé de vivre cette proximité, jusqu’à mettre enfin le corps, dans le cri, dans la tristesse, dans l’infini désarroi de l’arrachement, et visible. Parce qu’il y avait un message à écrire et à montrer.

« Des millions et des millions d’enfants et de femmes vivent encore cette réalité. L’art peut aussi (…) dire sans la violence, répéter que c’est inacceptable. »

Il y a quelques mois, Sandrine était dans le jardin de la mairie de Bordeaux, comme elle le sera quelques jours plus tard à Gorée. Aux points névralgiques de cette histoire. Des ports, des zones d’arrachement. De supplice. Bordeaux a acquis une œuvre et Gorée s’apprête à installer l’ « Exode ». Le maire,  Augustin Senghor, l’avait longuement écoutée. Les mots sont simples, il y a une évidence du lien à retrouver, à installer dans les mémoires. Des visages auxquels elle redonne maintenant des noms : Mémé Matika, Ndjé, arraché à son lointain Cameroun, Diaam Soukna qui disparaîtra dans l’océan… « Et puis tous les autres, dit-elle. Parce que l’esclavage ne s’est pas arrêté. Qu’il y a des millions et des millions d’enfants et de femmes qui vivent encore cette réalité. L’art peut aussi avoir la responsabilité de dire sans la violence, de répéter que c’est inacceptable. Mes sculptures font ce qu’elles peuvent pour combattre cette abomination. »

« La nuit, des visages ont commencé à venir me voir. Un homme dans un cachot, une femme devant un bateau. Une vieille qui a perdu ses enfants, qui est seule sur un rivage. »

Elle avait à peine huit ans, quand une de ses tantes lui a offert un pack de terre. C’était en France, bien loin de ses volcans de la Réunion, aux antipodes des terres marron, Mafate et Cilaos. « Je ne savais pas trop quoi en faire, explique-t-elle. Je me rappelle aussi que ma grand-mère, française, m’a offert à la même époque deux petites statuettes africaines. Je m’en suis servi comme modèle et les gens ont trouvé que j’avais ça dans les doigts. » Même mots discrets. C’est dans ses doigts, à son insu ou presque, que la terre est venue.

Les histoires ne doivent pas grand-chose au hasard. Elles se construisent par des jeux plus ou moins visibles que la nécessité impose. Sandrine sculpte dans cette matière considérable qu’est le temps. Le temps remonte des plus grandes profondeurs. Il est un magma comme celui de la Fournaise, noir et rouge, couleur de feu et de glaise.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos DR et Grigor Khachatryan

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