Afrique du sud / Zanele Muholi / Nous sommes et nous le montrons

Et si nos regards tuaient ? L’Afrique et le monde entier porte sur les choix sexuels (lesbiennes, gays, trans…) un jugement carcéral. Il y a la normalité et l’anormalité. Depuis 20 ans, la photographe sud-africaine Zanele Muholi travaille à rétablir l’image. Pour le droit à la liberté tout simplement. « Somnyama ngonyama », un jour dans la vie d’une activiste visuelle.

Au commencement de cette histoire, il y a le regard. On fonctionne ainsi. Le regard fixe la différence. Il extrait du groupe le singulier, il le tourne et le retourne, puis il se décide à l’épargner ou le détruire et le rejeter.

Quand elle commence son travail au début des années 2000, Zanele Muholi pointe déjà du doigt la stigmatisation des communautés gay et lesbienne, transgenre ou queer… L’exclusion, au sein du township, dans cette misère qui est celle de toutes les violences, et où les meurtres sexuels et les « viols à vertu curative » sont quotidiens. A vertu curative ! Des violences qui vont jusqu’à la mutilation et au meurtre. Comme elle l’écrira plus tard : « La photographie, pour moi, ce n’est pas un luxe, mais de l’activisme visuel. »

Zanele Muholi, Bhekezakhe, Parktown, Johannesburg, 2016; from Zanele Muholi: Somnyama Ngonyama, Hail the Dark Lioness (Aperture, 2018)

« Immorale et contraire à l’esprit de la Nation. »
Le travail de Zanele est tout entier inscrit dans ce refus. En 2003, si elle a suivi des cours dans une prestigieuse école de photo, celle David Goldblatt, l’intention première est militante. Rétablir l’image, ou plus clairement montrer ces hommes, ces femmes dans leurs choix et leur liberté. Parce que cette représentation en Afrique du sud était quasiment interdite.

Sa première expo (2004), « Visual Sexuality: Only Half the Picture », à la Johannesburg Art Gallery, pose déjà tous les repères. La visibilité pour commencer qui est une étape essentielle dans l’acceptation sereine. Au commencement est le regard : acceptez de me voir comme je suis.

Commencée en 2006, série « Faces and Phases Follow up » poursuit le même cheminement. Cette fois, ce sont trois cents portraits qui donnent à voir toute une pluralité de visages issus de la sphère  LGBTI, hommes, femmes, transgenres, pères, mères, jeunes, vieux, adolescents… Leur regard est direct, il établit un contact immédiat avec le visiteur. En somme de lui dire, « nous sommes là, nous partageons la même vie, la même rue. J’habite au 5ème et vous ? ». Trois cents portraits pour un voisinage normal. Il semble que la barre soit encore trop haut ? En 2010, la ministre de la culture Lulama Xingwana juge l’expo « immorale et contraire à l’esprit de la nation. »

« Je veux leur faire de l’espace, qu’ils puissent montrer qui ils sont. À travers ces images, je mets en avant ce qu’on appelle la « beauté noire ».

Avec son dernier projet (2017), « Somnyama ngonyama », la photographe choisit de se mettre elle-même en scène. « C’est comme un journal quotidien, les gens ont l’habitude d’écrire, moi, je me photographie ! », explique-t-elle. « Parce que chaque jour est une épreuve, demain n’est pas fait de la même essence qu’hier. Chaque événement fait naître quelque chose en moi. » Avec de l’humour et les idées bien en place, Zanele Muholi explore donc les multiples sentiments que ces rencontres lui inspirent. Sa conscience sociétale bien aiguisée, les tableaux vont entrer dans les recoins les plus sensibles. On pourrait parler des violences xénophobes, des agressions sur les femmes, de la recrudescence des crimes sexuels. Ses portraits noirs et blancs ne sont d’un surréalisme qu’apparent. Grattez un peu : sous ce pigment noir, ce sont des flashs saturés de sens. Et d’une beauté absolue autant que cocasse.

« Soyez vous-mêmes, vous en avez le droit. »
Comme elle le disait au moment de présenter son travail au Stedelijk Museum d’Amsterdam : « Tu veux bloquer pour ne plus entendre, mais quoi que tu fasses, tu entendras toujours ce qui arrive autour de toi. Les bruits des attaques, les cris des gens, tu ne peux pas les éviter. » Il s’agit de la violence contre les gays et les lesbiennes, du mépris pour les transgenres, mais aussi contre toute la communauté noire. Il s’agit du choix sexuel, mais aussi de la misère économique, de l’accès à la santé. Misères au pluriel.

Militante ? Elle l’est bien au-delà de la seule communauté LGBTI. « Le message que j’envoie à travers mes autoportraits s’adresse aux Noirs : « Vous devez être fiers de ce que vous êtes. » Je veux leur faire de l’espace, qu’ils puissent montrer qui ils sont. À travers ces images, je mets en avant ce qu’on appelle la « beauté noire ». Je veux dire : « Soyez vous-mêmes, vous en avez le droit. Engagez-vous avec vous-mêmes, communiquez avec vous-mêmes, concentrez-vous sur vous-mêmes. Le message est passé, il circule, et il se pourrait que d’un saut, il traverse les océans.

« C’est pourquoi je produis ce document photographique pour encourager les membres de ma communauté à être assez courageux pour occuper des espaces – assez courageux pour créer sans crainte d’être vilipendés, assez courageux pour assumer ce texte visuel, ces récits visuels. Enseigner aux gens notre histoire, repenser ce qu’est l’histoire, la récupérer pour nous-mêmes– encourager les gens à utiliser des outils artistiques tels que des caméras comme armes pour riposter. » Zanele Muholi (Aperture, par Renée Mussai, sept 2018)

Actuellement visible à Paris Art fair, du 7 au 10 avril 2002, Galerie Carole Kvasnevski, Grand Palais Ephémère,
A lire: Zanele Muholi sur la résistance (aperture.org)

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Zanele Muholi, Bhekezakhe, Parktown, Johannesburg, 2016; from Zanele Muholi: Somnyama Ngonyama, Hail the Dark Lioness (Aperture, 2018)

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos DR, ©  Zanele Muholi, by Courtesy of Stevenson, Cape Town / Johannesburg et Galerie Carole Kvasnevski.

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